Récapitulatif en chantier de quelques définitions personnelles.
Chemin faisant dans la recherche, je me rends compte de deux choses qui m’incitent à créer cette page :
- que le « définir les termes », comme nous le ressassait le professeur de lycée en philosophie lors de la rédaction d’une dissertation, n’est pas un conseil inutile,
- que pour que science vive, surtout dans des domaines interdisciplinaires, rien ne vaut d’expliciter les termes que nous employons.
À plusieurs reprises, ces derniers mois, j’ai été amené à ces explicitations. À l’intérieur d’une même discipline, surtout en sciences sociales, les définitions peuvent changer. Pire, une définition peut être idiosyncrasique, propre à la réflexion d’un chercheur unique. Point d’anathème, bien entendu : j’use moi-même de définitions très personnelles, les concepts sont des outils. Sur le plan de la méthode, plutôt que de multiplier des néologismes, je préfère raffiner la définition de certains termes déjà dans le champ des sciences humaines et sociales.
En voici quelques définitions regroupées, définitions etic donc, qui servent d’outils de travail (et non pas donc des définitions emic).
En cours de rédaction…
Pour l’instant dans un ordre alphabétique.
- Ambiance
- Appropriation
- Catégorisation
- Connectivité fonctionnelle
- Écologie acoustique
- Ethnoécologie
- Ethnovariété
- Histoire
- Insularité
- Insularité oasienne
- Landrace (race naturelle)
- Langage naturel des sons
- Oasis
- Palmeraie
- Patrimonialisation
- Paysage
- Paysage sonore (et environnement sonore)
- Registres socioécologiques
- Ressource
- Ressources socioécologiques
– Ambiance :
En cours de définition… :-)
– Appropriation :
Il faut là lire l’article en réf., mais disons en résumé que je distingue trois types d’appropriations (de ressources, des ressources que je décline aussi comme « ressources socioécologiques » [1]) :
« Il y a d’abord “l’appropriation” au sens premier du terme (dans la continuité du droit romain) : “faire d’une chose sa propriété”. C’est l’appropriation la plus brutale (…). Il y a une seconde acception : l’action d’approprier une chose, de “rendre propre à un usage” (…). C’est une appropriation plus subtile, accordant à des espaces des qualités différenciées (…). Enfin, on peut envisager une troisième acception en recourant au champ de l’art contemporain : la copie consciente d’acteurs sociaux, associée à une réflexion stratégique. C’est une appropriation par remploi (…). »
Réf. : Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie)
– Catégorisation :
Le processus de classement des éléments du monde — et, dans la plupart de mes travaux récents, des palmiers dattiers dans un système de dénomination infraspécifique. Toutes les communautés (y compris les communautés scientifiques) ont leur propre façon de catégoriser le monde, de le décomposer en éléments de façon non arbitraire et d’attribuer des qualités à ses éléments. L’ethnoécologie s’intéresse particulièrement à ces variations, car elles informent des manières de penser et de pratiquer le monde, les écologies alternatives. Dans le cas des palmiers dattiers, il est important de comprendre comment les populations humaines qui les cultivent, qui ont créé leur agrobiodiversité, qui la maintiennent et en vivent, pensent à cet objet vivant : l’un des outils est de comprendre comment ces populations « mettent en ordre » la diversité des palmiers dattiers en les rangeant en catégories, en variétés, etc., et en leur donnent des noms.
Réf. : L’agrobiodiversité du dattier (Phoenix dactylifera L.) dans l’oasis de Siwa (Égypte) : entre ce qui se dit, s’écrit et s’oublie
Réf. : Date palm agrobiodiversity (Phoenix dactylifera L.) in Siwa oasis, Egypt : combining ethnography, morphometry, and genetics
Réf. : On the necessity of combining ethnobotany and genetics to assess agrobiodiversity and its evolution in crops : a case study on date palms (Phoenix dactylifera L.) in Siwa Oasis, Egypt
– Connectivité fonctionnelle :
La nécessaire connectivité fonctionnelle de l’oasis peut se résumer par le statut de nœud de réseau de l’oasis. Ce n’est pas tant la continuité géographique qui est prise en considération ou bien la distance physique entre deux points insularisés, mais l’intégration ou la participation à un flux. La spécificité des oasis est que ce sont les sociétés humaines qui assurent cette connectivité fonctionnelle, en l’occurrence le franchissement de l’obstacle désertique, pour la majeure partie de la biodiversité oasienne, et sans doute de l’intégralité de l’agrobiodiversité oasienne. [texte légèrement remanié par rapport à l’article]
Réf. : Les possibilités d’une île : Insularités oasiennes au Sahara et genèse des oasis
« L’écologie acoustique peut se définir le plus simplement possible comme le système formé par les façons d’habiter un espace sonore et de produire son espace sonore au sein d’un environnement donné. Les qualités de cet environnement ne sont pas neutres : densité de population, architecture, circulations, etc. »
Réf. : « The sound of society » : a method for investigating sound perception in Cairo
« L’ethnoécologie est l’étude de l’écologie des autres, de la même manière que l’ethnométhodologie est la méthode des autres (et non pas la méthode de l’ethnologie !) ou l’ethnobotanique est la botanique des autres. »
Pour être plus précis, l’ethnoécologie est le travail scientifique sur « l’écologie des autres ». Le terme écologie — qui est construit sur le grec οἶκος (maison, habitant) — est proposé dès 1866 par Ernst Haeckel comme « la science des relations des organismes avec le monde environnant ». Donc, si c’est « l’écologie des autres » qui intéresse l’ethnoécologue, il s’attachera à comprendre chez d’autres humains la pensée, le discours (et les pratiques) sur les habitats du vivant et relations des choses entre elles ; autrement dit, il travaillera à comprendre chez d’autres humains comment ils pensent et pratiquent l’organisation du monde et ses éléments, comment ils les discriminent (voir catégorisation) et les mettent en relation (pour créer un univers qui a plus ou moins du sens).
Réf. : Cultiver son anthropologie dans le champ d’une ethnoécologie augmentée
« Ma définition d’ethnovariété est la suivante pour le dattier : « ensemble de lignées ressemblantes reproduites par rejets sous un même nom ». »
« Our current definition of an ethnovariety for the date palms is : “set of similar (according to local standards) lines of clones reproduced by vegetative offshoot under the same local name” (Battesti 2013). An ethnovariety differs from a landrace. An ethnovariety is always reproduced vegetatively, but might benefit from a seedling to create a new line of clones. According to Pintaud (2010 : 109), a landrace of date palms is a group of date palms partially clonal or fully propagated by seed, but by consanguinity retaining a stable set of morphological traits. »
Réf. : L’agrobiodiversité du dattier (Phoenix dactylifera L.) dans l’oasis de Siwa (Égypte) : entre ce qui se dit, s’écrit et s’oublie
Réf. : Date palm agrobiodiversity (Phoenix dactylifera L.) in Siwa oasis, Egypt : combining ethnography, morphometry, and genetics
Réf. : On the necessity of combining ethnobotany and genetics to assess agrobiodiversity and its evolution in crops : a case study on date palms (Phoenix dactylifera L.) in Siwa Oasis, Egypt
« Pour Nigel Barley (2000, L’anthropologue mène l’enquête, Paris, Payot), anthropologue et conservateur au British Museum, “l’histoire n’est pas ce qui s’est passé, c’est ce dont on se souvient !” On pourrait ajouter que [c’]est alors l’élection, par certains et pour tous, de ce dont on veut se souvenir. »
Réf. : De Siwa au Caire, la fabrique du patrimoine se nourrit du désir des autres
« État ou caractère d’un espace ou territoire en situation moins d’isolement que d’éloignement et de discontinuité physique. Ces espaces ou territoires peuvent ou doivent former un système dont ils sont les points d’échanges dynamiques d’un réseau. Cette connectivité explique et permet alors leur existence, façonne leur organisation et leur économie, y compris leur biodiversité. »
"Les oasis sont les nœuds de réseaux obligés. Il n’y a pas d’isolement des oasis, mais discontinuité physique et l’éloignement.
Les oasis sont des points d’échanges dynamiques d’un réseau qui explique et permet l’existence des oasis, façonnent leur organisation et leur économie, y compris leur biodiversité. Les connexions d’échange sont faibles entre oasis, mais suffisantes pour une très essentielle connectivité."
Réf. : Les possibilités d’une île : Insularités oasiennes au Sahara et genèse des oasis
An ethnovariety differs from a landrace. An ethnovariety is always reproduced vegetatively, but might benefit from a seedling to create a new line of clones. According to Pintaud (2010 : 109), a landrace of date palms is a group of date palms partially clonal or fully propagated by seed, but by consanguinity retaining a stable set of morphological traits.
« le langage ordinaire ou mondain [et son lexique] utilisé dans la vie quotidienne (…) pour évoquer ses expériences acoustiques » quand l’acteur se trouve être dans une « attitude naturelle » (et non pas une écoute réduite).
Réf. : « The sound of society » : a method for investigating sound perception in Cairo
Réf. : Towards a Sonic Ecology of Urban Life : Ethnography of Sound Perceptions in Cairo
« Une oasis est l’association d’une agglomération humaine et d’une zone cultivée irriguée (souvent une palmeraie) en milieu désertique ou semi-désertique. »
Des oasis sans palmeraie existent (agriculture irriguée sans palmier) et des palmeraies non oasiennes existent (des palmeraies de cueillette, habituellement de nomades, sans habitat sédentaire).
Réf. : Définition courte de l’oasis
Réf. : Les relations équivoques et les oasis
Réf. : Jardins au désert, Évolution des pratiques et savoirs oasiens, Jérid tunisien
Réf. : Tourisme d’oasis, les mirages naturels et culturels d’une rencontre ?
Réf. : Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie)
Réf. : The Power of a Disappearance : Water in the Jerid region of Tunisia
Réf. : Cultiver son anthropologie dans le champ d’une ethnoécologie augmentée
Réf. : Des palmeraies oasiennes, écosystèmes inventés par les humains
« Une palmeraie d’oasis est un espace fortement anthropisé et irrigué qui supporte une agriculture classiquement intensive et en polyculture. L’oasis est autant intégrée à son environnement désertique (association avec l’élevage transhumant des nomades) qu’elle s’en émancipe par une structure écosystémique toute particulière. Répondant entre autres de contraintes environnementales, c’est une agriculture intégrée qui est menée avec la superposition (dans sa forme typique) de trois strates : la plus haute des palmiers dattiers, une intermédiaire des arbres fruitiers (oranger, bananier, grenadier, pommier, etc.) et à l’ombre la strate des plantes basses (maraîchage, fourrage, céréales). Une autre constante de la structure oasienne est le travail en planches de culture, une organisation de l’espace appropriée à l’irrigation par inondation. »
Réf. : Définition courte de l’oasis
Réf. : Les relations équivoques et les oasis
Réf. : Jardins au désert, Évolution des pratiques et savoirs oasiens, Jérid tunisien
Réf. : Tourisme d’oasis, les mirages naturels et culturels d’une rencontre ?
Réf. : Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie)
Réf. : The Power of a Disappearance : Water in the Jerid region of Tunisia
Réf. : Cultiver son anthropologie dans le champ d’une ethnoécologie augmentée
Réf. : Des palmeraies oasiennes, écosystèmes inventés par les humains
– Patrimonialisation :
Cette définition personnelle (encore en chantier) insiste sur son caractère construit :
« La patrimonialisation, entendue comme la fabrique du patrimoine, est la mise en patrimoine d’un ou de plusieurs éléments d’objets matériels ou immatériels, c’est-à-dire les opérations par lesquelles des acteurs font le choix, en les figeant, d’extraire d’une réalité sociale des éléments qu’ils considèrent liés au passé et à valoriser à des fins économiques ou symboliques, en considérant qu’ils font sens dans l’Histoire (quelle qu’en soit l’échelle). »
Réf. : De Siwa au Caire, la fabrique du patrimoine se nourrit du désir des autres
– Paysage :
Le terme est extrêmement polysémique en SHS. J’ai dû préciser ma façon de définir la notion de paysage. Je suis passé alors d’une définition classique qui donne le paysage comme « le morceau de pays qui s’offre à la vue » à une définition plus personnelle (mais encore en chantier) qui insiste sur la polysensorialité et le caractère iconique :
« Paysage : morceau d’espace reconnu comme tel (par un groupe social), qui s’offre au sens, et est construit (matériellement, socialement) pour être reconnu (par ce même groupe social) ».
Réf. : Jardins d’oasis sahariennes : du beau comme contentement des sens au paysage par le bas
Mais la définition peut être amendée pour paraître moins absconse :
« La prise de conscience du paysage procède d’un engagement spécifique envers le monde, celui de la contemplation romantique d’une nature, qui a une histoire propre. » « Certes, peut être lu comme un paysage l’écosystème en évolution que façonne l’agriculture locale, c’est-à-dire l’ensemble des pratiques quotidiennes ou exceptionnelles des jardiniers. Tout dépend des compétences de lecture : le paysage est, à plus d’un titre, socialement construit. Cela renvoie tout de suite aux perspectives constructivistes qui dominent aujourd’hui largement les sciences sociales. Et ces perspectives ont pour principale conséquence d’avoir un puissant effet de dénaturalisation. Le paysage ne serait-il plus naturel ? Il est (beau comme) la rencontre (fortuite) d’un “regard équipé” par diverses ressources et un monde naturel, ou un environnement dans une acception large. » (p. 150)
« Voir un paysage dans un espace présenté devant soi est tout autant du ressort de la compétence que de lire une carte. » (p. 151)
Réf. : « Pourquoi j’irais voir d’en haut ce que je connais déjà d’en bas ? »
– Paysage sonore (et environnement sonore) :
Pour Raymond Murray Schafer (1977), l’inventeur du concept de Soundscape (souvent traduit par « paysage sonore » en français), le paysage sonore n’est que l’environnement sonore que l’on étudie. Je suis un peu plus exigeant sur la définition, en le distinguant de « l’environnement sonore » :
« Ce qui permet de distinguer “environnements sonores” de “paysages sonores” est, à mon sens, la régularité ou la reproductibilité de l’évènement sensoriel, de l’ensemble des effets sonores qui permet de qualifier, d’identifier une signature sonore complexe d’un territoire. Un son de cloche est un son de cloche, un évènement sonore [2] et non pas un paysage. Un son de cloche mêlé à d’autres sons incidents, composites ou composés, qui ne font pas ensemble encore ”sens” en termes de signature (la situation peut être reconnue, mais pas identifiée comme une signature) forment un “environnement sonore”. Le “paysage sonore”, on l’aura compris, est alors un environnement sonore qui signe un lieu et un moment et qui est identifiable (le tout est de préciser pour qui). » (p. 85)
Réf. : « L’ambiance est bonne », ou l’évanescent rapport aux paysages sonores au Caire
– Registres socioécologiques :
C’est une notion qui permet d’expliquer la coexistence de rapports différents à l’environnement :
« Sur le terrain, l’observation des seules ressources naturelles ne suffit pas à expliquer l’évolution des environnements ; l’examen des registres d’idées et de pratiques mis en œuvre par les acteurs pour user ou non de ces ressources est nécessaire. » Ces registres socioécologiques, registres sociaux, moraux et de savoir, possèdent leurs espaces et leurs temps d’expression préférentiels, ce qui leur permet de coexister. Ces registres sont des formes collectives de l’expérience du monde.
Réf. : Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie)
Réf. : Les oasis du Jérid, des ressources naturelles et idéelles
Réf. : Jardins au désert, Évolution des pratiques et savoirs oasiens, Jérid tunisien
– Ressource :
Je suis passé d’une définition classique (moyens mis en œuvre pour satisfaire un besoin ou améliorer une situation) à une définition plus personnelle (mais encore en chantier) qui insiste sur son aspect situé :
« En soi, il n’est point de “ressource” : toute chose, matérielle ou immatérielle, devient “ressource” dès lors qu’elle est interprétée par une collectivité comme un moyen dont elle peut disposer. Qualifier quelque chose de “ressource” est, par conséquent, une opération intrinsèquement liée à une situation sociale et à des acteurs sociaux. »
Réf. : Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie)
– Ressources socioécologiques :
C’est une notion qui permet d’expliquer la coexistence de rapports différents à l’environnement :
« Un acteur use non seulement de différentes ressources proprement physiques du milieu, mais aussi de différents registres sociaux, moraux et de savoir, qui permettent cet usage et orientent ses pratiques. Les ressources socioécologiques sont la conjugaison de ces deux types de ressources, corrélées les unes aux autres et déployées simultanément. » Par ailleurs, « cette notion de ressources socioécologiques a permis de montrer que divers rapports pratiques et cognitifs à l’environnement opèrent simultanément. »
Réf. : Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie)
Réf. : Les oasis du Jérid, des ressources naturelles et idéelles
Réf. : Jardins au désert, Évolution des pratiques et savoirs oasiens, Jérid tunisien
Portfolio
[1] En un sens, la formule “appropriation de ressource” est une redondance. Voir l’entrée “ressource” de cette page et l’article mentionné en réf.
[2] À condition que ce son de cloche soit situé : s’il est abstrait de son environnement, il est appelé par Pierre Schaeffer un »objet sonore« .