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Jardins d’oasis sahariennes : du beau comme contentement des sens au paysage par le bas
Conférence donnée dans le cadre du séminaire « Approches anthropologiques du paysages », du cours d’« Anthropologie de la nature » de Philippe Descola au Collège de France, le 28 février 2013, Paris (France).
– Version enregistrée (audio) de l’intervention (10h-12h30) sur le site du Collège de France :
http://www.college-de-france.fr/sit...
– Introduction du cours :
Intervenir dans un cours, c’est répondre à une demande. L’idée est de vous parler des oasis sahariennes, des jardins qui les composent et de discuter de l’idée de paysage. En tant que chercheur de terrain, le plus souvent possible je vais vous parler de choses très localisées, d’expériences vécues.
Le titre de cette intervention est un peu tarabiscoté, j’en conviens.
« Jardins d’oasis sahariennes » : je vais donc parler du Sahara, et dans ce Sahara des oasis et dans ces oasis des jardins. Un effet d’emboîtement qu’il faudra garder à l’esprit, il n’est pas innocent. Noter que je ne parlerai pas du monde arabe, encore moins du monde arabo-musulman : je reste localisé, je vous parlerai de telle ou telle oasis, car la force de l’anthropologie est de s’appuyer sur des données aussi fiables que possibles issues d’ethnographies précises.
La suite de mon titre : « du beau comme contentement des sens au paysage par le bas ». Pardon, je vois aujourd’hui que ça n’a sans doute ni queue ni tête pour vous. Ce sous-titre a davantage valeur de mémento, d’aide-mémoire. Cela renvoie pour moi à deux phrases qui m’ont été adressées pendant du terrain fait l’un dans les oasis du Jérid en Tunisie, l’autre dans l’oasis de Siwa en Égypte. Le morceau « du beau comme contentement des sens » : c’est « Tu vois, c’est joli l’oasis, tu vois comme c’est bien, il y a à manger, les fèves, les fruits, les piments, et aussi à boire... ». Le morceau « paysage par le bas » : c’est « Pourquoi j’irais voir d’en haut ce que je connais déjà d’en bas ? ». Deux phrases clés qui m’ont ouvert les yeux, mais pas que… Car, en effet, une question en filigrane est : le paysage est-il (uniquement) visuel ? Je crois que la question a déjà été posée dans ce cours, mais on la verra ici exemplifiée par ces quelques données personnelles de terrain.La référence littéraire, poétique, religieuse aux jardins est importante dans le monde arabe : mais si l’on cherche aujourd’hui le jardin arabe classique des poètes arabes, on serait bien en peine de le retrouver. Au Caire où se situe une partie de mes recherches, il y a des jardins, différents types de jardins, même un « Jardin andalou », mais sous cloche en quelque sorte, muséifié vivant. Or ce n’est pas tout à fait ça qu’un jardin arabe, c’est tel qu’il est décrit dans la littérature un « jardin en pratiques », non pas un « jardin à voir ». Et peut-être finalement le trouverait aujourd’hui là où on s’y attend le moins, chez les paysans des oasis. Pardon, pas « chez les paysans », dire plutôt : « on le trouve créé par des paysans oasiens à leur propre usage ». (…)
– Une retombée de cette conférence : une réflexion sur la définition de « paysage ».
J’ai dû préciser ma façon de définir la notion de paysage. Je suis passé alors d’une définition classique qui est définir le paysage comme « le morceau de pays qui s’offre à la vue » à une définition plus personnelle (mais encore en chantier) qui insiste sur la polysensorialité et le caractère iconique :
« Paysage : morceau d’espace reconnu (par un groupe social) comme tel, qui s’offre au sens, et est construit (matériellement, socialement) pour être reconnu (par ce même groupe social) ».