– Vincent Battesti (2013), « L’ambiance est bonne », ou l’évanescent rapport aux paysages sonores au Caire. Invitation à une écoute participante et proposition d’une grille d’analyse dans : Joël Candau & Marie-Barbara Le Gonidec (dirs), 2013 — Paysages sensoriels. Essai d’anthropologie de la construction et de la perception de l’environnement sonore, éditions du CTHS, coll. Orientations et Méthodes, n° 26, p. 70-95 ISBN : 978-2-7355-0806-8 [Suite du colloque « Paysages » du 135e congrès du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS, du 6 au 11 avril 2010 à Neuchâtel - Suisse) sur le thème des paysages sonores]. Fichier pdf :https://hal.science/hal-00842075
Cette contribution propose de poursuivre un travail entamé ailleurs (Battesti, 2009), de s’intéresser à cette matière intangible qu’est l’ambiance sonore d’un lieu. Ce paysage sonore non seulement est une résultante des activités menées en son sein (définition passive), mais peut être également une construction collective volontaire (définition active). Au sein du Caire et de sa « gangue sonore », chaque quartier possède dans le tissu urbain de la mégapole une identité spécifique attribuée par les citadins, une ambiance. Loin de ne tenir que de l’anecdote, d’un simple arrière-plan sonore, l’ambiance est la qualité première invoquée par les citadins pour expliquer leur déambulation ici et non pas là dans la ville, justifier leur appréciation des espaces. L’ambiance, dont sa composante sonore, devient une part objectivée de la « beauté » d’un espace urbain. Que ces espaces soient structurés par le végétal (jardins publics) ou le minéral (quartiers), ce qui importe pour les usagers cairotes d’espaces publics est « l’âme » des lieux, qui ne se manifeste que par la coprésence d’autres humains, émetteurs sonores.
Dans Le Caire des sorties populaires, on pique-nique sur les bancs, sur des ronds-points... les ambiances urbaines prennent, se créent au sein même et sans se soustraire et s’abstraire d’un environnement saturé de gens, d’odeurs, de pollutions urbaines... et de sons. Les promeneurs viennent apprécier l’ambiance, prendre part au spectacle que la ville engendre en se regardant, en s’écoutant elle-même. Les territoires de la ville correspondent à des paysages sonores, ils ont leur propre signature. Cette signature est analysable, décomposable (inventaire des différents bruits), mais c’est l’écoute d’ensemble qui offre sens. J’ai pu montré ailleurs la pertinence de l’objet « ambiance sonore » en anthropologie : les ambiances sonores ne sont pas le fait du hasard, elles sont des productions sociales. Je souhaite maintenant pousser l’hypothèse d’une « structure sociale sonore » : les ambiances sonores (faites et reçues) s’organiseraient sur la forte structuration sociale de la société égyptienne. Le principe qui semble le mieux régir la politique populaire de la sonorité est celui de la saturation à l’instar des fêtes de mariages populaires et des mouleds où les musiques électroamplifiées (aux effets électroacoustiques évités ailleurs qu’en Égypte) emplissent volontairement les airs, sans partage. Aux moments exceptionnels de fêtes, bien entendu, répondent des moments plus quotidiens, où la saturation sonore est moindre, mais la signature toute aussi évidente à chacun. Comment définir un « paysage sonore », comment qualifier ces paysages sonores, comment les analyser, que peut-on dire de leur production et des normes qui les régissent ? et, si les ambiances sonores peuvent être décrits comme des décors de l’instant, quels jeux d’acteurs permettent-ils alors ?
Des extraits sonores en complément de ce chapitre proposés à l’écoute.