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par Vincent Battesti

V. Battesti (2009) - Tourisme d’oasis. Les mirages naturels et culturels d’une rencontre ? in Nadège Chabloz & Julien Raout (dirs), Cahiers d’études africaines, numéro spécial, Tourismes. La quête de soi par la pratique des autres, XLIX (1-2), 193-194, p. 551-582
Éditions de l’EHESS, Paris).
ISSN : 0008-0055 / ISSN électronique : 1777-5353
ISBN : 2-7132-2207-9 / ISBN-13 : 978-2-7132-2207-8
DOI : 10.4000/etudesafricaines.18826
Fichier pdf : https://hal.science/halshs-00350921/
En ligne sur le site de la revue : http://etudesafricaines.revues.org/18826

 Appel à contribution de la revue CEA à cette page : http://actualites.ehess.fr/nouvelle...

Séance photo : Jeri, le gardien du temple antique d’Amon, et deux touristes japonaises, Maliqo et Saliqo. Siwa, Aghurmi, le 18 mai 2003, 19h.

 Résumé :

Ce texte s’articule sur deux terrains ethnographiques oasiens : en Tunisie dans la région arabophone du Jérid et dans l’oasis berbérophone égyptienne de Siwa. L’inclination contemporaine du tourisme est clairement au « culturel ». Moins qu’une opposition entre des « touristes culturels » et des touristes qui ne le seraient point, il s’agit surtout d’un zèle chez les uns et les autres à mettre en œuvre une nouvelle ressource, un nouveau registre de pratiques touristiques. Les émotions esthétiques ont aussi évolué (du pittoresque à l’authenticité), avec l’exigence d’un accès direct et vrai à la culture locale. Plus que le panorama en surplomb offert depuis les inselbergs qui entourent Siwa ou les montgolfières à Tozeur, rien ne vaut désormais d’assister à un « vrai » mariage, à une « vraie » fête des jeunes travailleurs enivrés sous les palmiers. Quiproquo et simulacres laissent place cependant aussi à une satisfaction. Il se crée peut-être une « novlangue » coproduite entre touristes et interface locale, amalgamant préservation identitaire (diversité culturelle) et préservation éco/biologique (biodiversité).

 Proposal pour un numéro « Mise en tourisme de la culture, Réseaux, représentations et pratiques ».

Ce texte s’articulera sur deux terrains ethnographiques oasiens : l’un en Tunisie dans la région arabophone du Jérid et l’autre sur un terrain en cours en Égypte, dans l’oasis berbérophone de Siwa.

Dans les deux cas, le tourisme oasien conserve quelque peu son caractère de « tourisme exigeant » : « Siwa, il faut la mériter pour la voir » (dix heures de car depuis Le Caire) me disait une touriste anglaise à Siwa. L’accès des oasis demande un détour par le désert et la fréquentation saharienne n’est jamais innocente pour un touriste occidental. On connaît les valeurs associées habituellement au désert ; celles associées aux oasis – le milieu complémentaire – sont plus évanescentes. On peut retracer rapidement l’histoire du tourisme oasien (d’aventure, upper-class, puis sa massification) et – pour ce que l’on peut en observer aujourd’hui – l’inclination est clairement au tourisme culturel. Même s’il est parfois minoritaire quand on le chiffre, il devient un idéal à atteindre pour l’éthos touristique.

Les émotions esthétiques ont aussi évolué : même si cela n’est jamais aussi net qu’objectivé par l’écrit, en Tunisie comme en Égypte, on privilégie aujourd’hui moins le pittoresque que l’authenticité. Si le pittoresque peut se satisfaire d’une recréation ou récréation du local, l’authentique exige un accès « direct et vrai » à la culture locale : ce doit être une expérience en prise avec le réel. L’idée du panorama, le paysage du point élevé qu’offrent les inselbergs qui entourent Siwa ou les montgolfières à Tozeur, demeure l’illustration « idéale-typique » du rapport à son environnement dans les pratiques touristiques, mais cette seule approche en surplomb ne suffit plus : rien ne vaut d’assister à un « vrai » mariage, à une « vraie » fête des jeunes travailleurs enivrés sous les palmiers.

La demande culturelle émane à l’évidence des touristes, mais elle peut-être clairement décodée in situ par différents acteurs locaux : petit entrepreneuriat individuel ou institutions administratives locales. Les initiatives mises en place pour répondre à cette demande (c’est presque paradoxal, car beaucoup des touristes aimeraient arriver en terrain vierge, non préparé à les recevoir — sauf pour l’hébergement hôtelier et la langue) viennent créer et proposer une tradition locale. Ces propositions sont présentes dans les discours (en particulier sur les questions d’identité : être berbère ou non), dans les pratiques (notamment artisanales, culinaires, agricoles ou rituelles comme les mariages) ou dans le cadre environnemental (transformation de l’architecture, recréation d’un paysage urbain traditionnel, redéfinition fonctionnelle des jardins).

Inventée comme toute tradition et proposée comme un pont vers l’autre, vers l’étranger non oasien, de façon sincère et/ou intéressée (la tentation de l’émigration ou le commerce sexuel, homosexuel en particulier dans ces oasis), cette tradition locale vient toujours finalement créer une interface. Cette interface est comme un obstacle pour atteindre la société locale (et en effet elle sert souvent vraiment de tampon, de façon différentes toutefois à Siwa comme dans le Jérid), mais elle peut aussi être présentée comme l’écran des projections des uns et des autres. L’ethnologue de terrain a beau jeu de dire « ah, mais les touristes restent en surface ; moi, je connais cette société de l’intérieur ! », néanmoins il faut peut-être mesurer ces opérations pratiques de rencontres en oasis à l’aune de la satisfaction de chacun.

Au-delà, il se construit de toute évidence une sorte de langage commun (une novlangue ?) qui trouve, chez les différents acteurs du monde touristique en oasis, des points d’accords fondamentaux. L’un des plus saillants est que les « contenus culturels » proposés ou recherchés de cette Afrique saharienne semblent dépasser la simple « tradition » et chercher une actualisation d’une « harmonie authentique » des relations entre une société locale et son environnement. Le glissement est alors tout naturel pour tous d’amalgamer des préoccupations qui tiennent de la préservation identitaire (diversité culturelle) et d’autres de la préservation éco/biologique (biodiversité). Peuples de la nature ? la tradition est présentée comme la garante des diversités.

Du tourisme pour découvrir la nature des oasis nord-africaines au tourisme pour atteindre maintenant la « nature essentielle » des communautés oasiennes, cet article montrera que la dimension paysagère puis environnementale reste la constante, alimentée par les imaginaires transnationaux.

Mirage du tourisme en oasis
Un touriste déguisé en local. À ce qu’il lui semble. © Vincent Battesti. Tozeur (Tunisie), 1995.

 Publication.
La parution de ce numéro spécial sur le tourisme de la culture est prévue par la rédaction pour le courant de l’année 2009.
C’est sorti ! (juillet 2009)

 Ajout, plus tard/ voir cette émission en ligne qui illustrera très bien le propos sur le tourisme à Siwa :

Émission Partir Autrement, sur TV5 Canada – Projets de tourisme responsable et équitable : Oasis de Siwa, Égypte

 Contribution bibliographique (postérieure à la rédaction de l’article, mai 2009) :

Il n’est pas certain que l’on possède déjà des solutions de remplacement parfaitement heureuses et, dans le cas strictement « oasis » qui nous intéresse, nous devons espérer que l’apport de l’économie européenne saura respecter les formes traditionnelles du travail et de l’industrie, tout en les développant.
Le tourisme bien organisé (et il commence à l’être, grâce en particulier aux efforts des compagnies aériennes) ne pourrait-il pas, à lui seul, par les aérodoromes [sic], les hôtels, les activités artisanales du cuir, des métaux, des vêtements, de l’alimentation, augmenter un standard de vie actuellement assez bas, tout en préservant au maximum la beauté d’une tradition ou d’un paysage ?

p. 213 in Vieuxblé E., 1954.- Les oasis sahariennes. Sciences et Avenir, mai 1954 (n°87), p. 211-215, 237.

Couv-CEA

 Table des matière du numéro :

N. CHABLOZ & J. RAOUT –] Corps et âmes. Conversions touristiques à l’africanité.

 Imaginaires d’hier et d’aujourd’hui
S. DULUCQ – « Découvrir l’âme africaine ». Les temps obscurs du tourisme culturel en Afrique coloniale française (années 1920-années 1950).
N. B. SALAZAR – Imaged or Imagined ? Cultural Representations and the « Tourismification » of Peoples and Places.

 Passeurs culturels et prestataires sexuels
A. DOQUET – « Guides, guidons et guitares ». Authenticité et guides touristiques au Mali.
S. BOULAY – Culture nomade versus culture savante. Naissance et vicissitudes d’un tourisme de désert en Adrar mauritanien.
C. CAUVIN VERNER – Du tourisme culturel au tourisme sexuel : les logiques du désir d’enchantement.
C. SALOMON – Antiquaires et businessmen de la Petite Côte du Sénégal. Le commerce des illusions amoureuses.

 Circulations artistiques transnationales
J. RAOUT – Au rythme du tourisme. Le monde transnational de la percussion guinéenne.
J. BOUKOBZA – Danser l’Orient.Touristes et pratiquantes transnationales de la danse orientale au Caire.
M.-P. GIBERT & U. H. MEINHOF – Inspiration triangulaire. Musique, tourisme et développement à Madagascar.
E. CAROLI – « La tarentule est vivante, elle n’est pas morte ». Musique, tradition, anthropologie et tourisme dans le Salento (Pouilles, Italie).
A. WA KABWE-SEGATTI – « We Offer the Whole of Africa Here ! » African Curio Traders and the Marketing of a Global African Image
in Post-apartheid South African Cities.

 Détournements politiques
M. LASSIBILLE – Les scènes de la danse. Entre espace touristique et politique chez les Peuls woDaaBe du Niger.
S. COUSIN & J.-L – MARTINEAU. Le festival, le bois sacré et l’Unesco. Logiques politiques du tourisme culturel à Osogbo (Nigeria).
J. BONDAZ – Imaginaire national et imaginaire touristique. L’artisanat au Musée national du Niger.

 Retours aux sources
N. CHABLOZ – Tourisme et primitivisme. Initiations au bwiti et à l’iboga (Gabon).
J. R. FORTE – Marketing Vodun. Cultural Tourism and Dreams of Succes in Contemporary Benin.
A. BELLAGAMBA – Back to the Land of Roots. African Tourism and the Cultural Heritage of the River Gambia.
A. BENTON & K. Z. SHABAZZ – « Find their Level ». African American Roots Tourism in Sierra Leone and Ghana.

 Désillusions exotiques
M. AIME – Les déçus de Tombouctou.
H. QUASHIE – Désillusions et stigmates de l’exotisme. Quotidiens d’immersion culturelle et touristique au Sénégal.
V. BATTESTI – Tourisme d’oasis. Les mirages naturels et culturels d’une rencontre ?

 Télécharger l’article en pdf :

V. Battesti (2009) - Tourisme d’oasis. Les mirages naturels et culturels d’une rencontre ?
in Nadège Chabloz & Julien Raout (dirs), Cahiers d’études africaines, numéro spécial, Tourismes. La quête de soi par la pratique des autres, XLIX (1-2), 193-194, p. 551-582
Vincent Battesti

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