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par Vincent Battesti

Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie)

Article publié dans Études rurales, éditions EHESS, vol. 2013/2, n°192 (Appropriations des ressources naturelles au sud de la Méditerranée) 2013, p. 153-175.
ISSN : 0014-2182
ISBN : 978-2-7132-2398-3
Numéro d’Études rurales est dirigé par Tarik Dahou, Mohamed Elloumi & François Molle.
en ligne sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/et...
DOI : 10.4000/etudesrurales.9954
Fichier pdf : https://hal.science/hal-00832566

Cet article fait suite au colloque organisé à Beyrouth en 2011 : Colloque « Appropriation des ressources naturelles et patrimoniales : Compétitions et droits d’accès en Méditerranée » et en particulier la conférence que j’ai donnée à cette occasion, Appropriation des ressources : une mise-à-jour tunisienne, Retour sur les oasis du Jérid en 2011.

 Résumé :

Au Jérid (région d’oasis du sud-ouest de la Tunisie), les dynamiques autour de l’appropriation des ressources varient selon le type de ressources considérées : certaines lui ont quelques peu échappé, les gènes par exemple, mais les ressources naturelles comme l’eau et la terre, l’État technocratique s’en est approprié la gestion. L’agriculture de la région est toute contenue dans les palmeraies d’oasis, des écosystèmes singuliers. Un retour l’été post-révolutionnaire de 2011 sur ce terrain a permis de souligner les dynamiques les plus récentes, mais également de repenser la notion d’appropriation. Si celle de « ressource » avait déjà été discutée avec l’introduction des « ressources socioécologiques », cet article est l’occasion de démontrer qu’il ne s’agit pas toujours de s’approprier des choses matérielles, mais également d’approprier à des usages, de s’approprier des usages et des modes de relation au monde, et de telles compétences sont peut-être mieux distribuées parmi les agriculteurs locaux que parmi les administrateurs de l’agriculture, détenteurs officiels du savoir agronomique et de la force légitime, respectivement dominés et dominants du jeu politique officiel.

Au Jérid (Tunisie), le 30 juillet 2011 à midi dans le quartier de Awled el-Hawadif (© vbat)

 Cet article sur le site de la revue Études rurales : http://www.cairn.info/resume.php?ID...
 La page de ce numéro sur le site de la revue Études rurales : http://editions.ehess.fr/revues/num...
 Sites web de la revue : http://www.cairn.info/revue-etudes-... et http://etudesrurales.revues.org.

 Pour info : résumé de la première version de l’article.

Au Jérid (dans le sud-ouest de la Tunisie), les dynamiques autour de l’appropriation des ressources varient selon le type de ressources considérées : certaines lui ont quelques peu échappé, mais les ressources naturelles comme l’eau et la terre, l’État techniciste s’en est approprié la gestion. L’agriculture de la région est toute contenue dans les palmeraies d’oasis, des écosystèmes singuliers. Ce texte fait suite à une mission sous forme de retour, l’été post-révolutionnaire de 2011, dans les oasis du Jérid, après les avoir étudiées au milieu des années quatre-vingt-dix. J’ai pu montrer ailleurs (Battesti, 2005, 2012) la lente mais persévérante appropriation de la ressource en eau par l’État, animé d’un volontarisme très ingénieurial, au dépens d’une gestion locale. Dans le même temps, l’État se désengage ces dernières année de ce qui lui est le plus pénible : la facturation et l’entretien des puits au « bénéfice » d’associations (obligatoires) d’irrigants.

À l’échelle du siècle, au contrôle de l’eau s’ajoutent de façon très liée des techniques nouvelles d’exhaure (forages), de nouvelles organisations sociales du travail (salariat), de nouveaux espaces (conquête du désert). Ces mutations débutées avec la colonisation ont bouleversé les bases des compromis locaux sur l’exploitation des ressources. Parce que l’État a créé de vastes nouvelles palmeraies, champs modernes de Phœnix dactylifera L., var. deglet nour, postulant sur d’inextinguibles ressources souterraines, les nouveaux forages qui les ont irriguées ont fini d’assécher les sources anciennes des palmeraies millénaires et de sérieusement menacer le futur immédiat de la région (mais les ingénieurs ont foi en une science salvatrice comme les agriculteurs locaux ont foi en un Dieu réparateur).

 Une retombée de cet article : une réflexion sur la définition de « ressource ».

J’ai dû préciser ma façon de définir la notion de ressource. Je suis passé d’une définition classique (moyens mis en œuvre pour satisfaire un besoin ou améliorer une situation) à une définition plus personnelle (mais encore en chantier) qui insiste sur son aspect situé :

« En soi, il n’est point de « ressource » : toute chose, matérielle ou immatérielle, devient « ressource » dès lors qu’elle est interprétée par une collectivité comme un moyen dont elle peut disposer. Qualifier quelque chose de « ressource » est, par conséquent, une opération intrinsèquement liée à une situation sociale et à des acteurs sociaux. »

 Une seconde retombée de cet article : une réflexion sur la définition d’« appropriation ».

Il faut là lire l’article, mais disons en résumé que je distingue trois types d’appropriations (de ressources, des ressources que je décline aussi comme « ressources socioécologiques » [1]) :

« Il y a d’abord « l’appropriation » au sens premier du terme (dans la continuité du droit romain) : « faire d’une chose sa propriété ». C’est l’appropriation la plus brutale (…). Il y a une seconde acception : l’action d’approprier une chose, de « rendre propre à un usage » (…). C’est une appropriation plus subtile, accordant à des espaces des qualités différenciées (…). Enfin, on peut envisager une troisième acception en recourant au champ de l’art contemporain : la copie consciente d’acteurs sociaux, associée à une réflexion stratégique. C’est une appropriation par remploi (…). »

 Les premières lignes :

Les ressources ont une histoire : celle que leur « écrivent » les groupes sociaux qui décident de définir « ces choses-là » comme des ressources.

Sur un territoire limité, le Jérid, région oasienne du sud-ouest tunisien peu favorable aux établissements humains, la définition de ces ressources et de leurs appropriations est au cœur des enjeux contemporains. Pour autant, nous verrons que ces appropriations varient selon le type de ressource, le groupe social mais également les modes d’appropriation considérés.

Pour explorer les modalités d’appropriation on se permettra de simplifier le jeu social, ramené ici à ses deux principaux acteurs : la société locale et la collectivité, coloniale ou nationale.

Cet article met l’accent sur trois ressources naturelles qui comptent parmi les facteurs limitants et décisifs de la vie oasienne : l’eau, la terre et le matériel végétal. Le bilan, nous le verrons, est contrasté : l’annexion, par l’État, du local est une réalité somme toute assez classique, surtout dans le contexte d’un État fortement jacobin, mais elle ne s’impose pas à toutes les ressources, et pas toujours de manière exemplaire. Hormis peut-être pour l’eau, pointée très tôt comme le levier à tenir pour contrôler ces espaces oasiens (Battesti 2012).

En élargissant le terme « ressources » à la notion de « ressources socioécologiques » nous bousculons quelque peu l’acception de l’appro- priation, qui, dès lors, n’est plus seulement l’œuvre des acteurs dominants de la scène locale.

Après avoir brièvement introduit la notion de « ressources socioécologiques » et présenté oasis et palmeraies du Jérid, nous nous inté- resserons tout particulièrement à l’eau, à la terre et aux gènes pour éclairer différentes manières de « s’approprier » des ressources.

Les ressources socioécologiques
En soi, il n’est point de « ressource » : toute chose, matérielle ou immatérielle, devient « ressource » dès qu’elle est interprétée par une collectivité comme un moyen dont elle peut disposer. Qualifier quelque chose de « ressource » est, par conséquent, une opération intrinsèquement liée à une situation sociale et à des acteurs sociaux. (…)

Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie)
Battesti, Vincent, 2013 — « Des ressources et des appropriations. Retour, après la révolution, dans les oasis du Jérid (Tunisie) ». Études rurales, 2013/2 (192, Appropriations des ressources naturelles au sud de la Méditerranée), p. 153-175 — en ligne : https://hal.science/hal-00832566
© Vincent Battesti

[1En un sens la formule "appropriation de ressource est une redondance. Voir l’article.