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Les possibilités d’une île : Insularités oasiennes au Sahara et genèse des oasis
in Gaëlle Tallet & Thierry Sauzeau (dirs), Mer et désert de l’Antiquité à nos jours, Approches croisées, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2018, p. 105-144.
ISBN : 978-2-7535-7434-2
En ligne : https://books.openedition.org/pur/173276
Fichier pdf : https://hal.science/hal-01154828
Ce chapitre vient à la suite d’une communication donnée au colloque « Mer et désert de l’Antiquité à nos jours : visions croisées ».
Le colloque s’est tenu en novembre 2013, il y a eu donc un certain délai, près de cinq ans, entre les idées exposées dans cette communication et développées dans cet chapitre et leur publication.
Mise à jour du 4 sept. 2018 : la dernière version de travail du titre était « Les possibilités d’une île : Insularités oasiennes au Sahara et genèse des oasis », mais a été réduit à l’impression. Pire : la version imprimée n’est pas la dernière version, mais les épreuves non corrigées. J’ai mis en ligne (sur Hal) une version numérique corrigée.
– Résumé :
Qu’implique la condition « insulaire » ? une possibilité : d’être un nœud de réseau. À cette condition, on peut comparer les îles et les oasis. Plutôt que de parler d’isolement, ce qui préjuge beaucoup de ce que donnerait leur analyse géographique fine, il conviendrait d’associer à l’insularité plutôt la discontinuité physique et l’éloignement.
« Les oasis et les différentes parties du Sahara ne peuvent pas rester isolées les unes des autres. Elles donnent actuellement l’apparence d’îles perdues sur un vaste océan et qui ne seraient visitées par des navires qu’à de très longs intervalles » (Auguste Chevalier, 1932 : 910)
Les possibilités d’une île pour les oasis sont d’être un point d’échanges dynamique qui explique et permet leur existence, façonnent leur organisation et leur économie, y compris dans sa biodiversité. La raison d’être des oasis est cette condition historique d’un nœud de réseau.
– Les premières lignes :
Ni le thème de la mer et ni directement le thème du désert ne sont au cœur de mes recherches portées sur les oasis. Cependant, une attention scientifique aux systèmes oasiens ne peut tout à fait négliger le contexte sociogéographique dans lequel ils s’insèrent et prennent sens. Par ailleurs, cette attention portée aux oasis est inévitablement tributaire du contexte culturel de son énonciation scientifique, de son histoire, qui a toujours fait ce rapprochement entre mer et désert (voir dans ce volume Emmanuel Nantet et son analyse des écrits de Théodore Monod, Bernard Nantet sur le contemporain et enfin et les réflexions historiques de Nicholas Purcell sur cette analogie).
Comparer les oasis du Sahara à des îles du domaine maritime peut sembler aller de soi. Com- paraison pour autant n’est pas raison : qu’est-ce que comparer les îles et les oasis apporte à la recherche ? Que veulent dire ces catégories linguistiques et conceptuelles préconstruites ? Est- on dans la métaphore poétique ou heuristique ?
Des îles et des oasis
À y regarder de plus près, l’« île » dans son acception d’un « espace de terre émergée entou- rée d’eau de tous côtés » semble difficilement s’attacher aux objets oasiens ; les oasis sont précisément l’inverse, de l’eau entourée de terres arides. La présence d’eau est indispensable à faire une oasis, elle n’est cependant pas suffisante : sont également indispensables des hommes organisés en société, munis de savoir-faire spécifiques, pour en assurer l’organisation, la répartition et l’usage, en particulier agricole. Il n’en faut pas tant pour faire une île : une terre émergée suffit.L’insularité au désert ?
Alors, pourquoi parler d’îles et d’oasis ? Une acception étymologique du terme « île » est le latin insula, qui renvoie à une situation d’isolement. La pertinence première à penser les oasis comme des îles tient à ce qu’elles sont des espaces d’établissements humains et que ces « iso- lats » maillent le désert comme les îles l’espace maritime. On pourra comparer les cartes des routes maritimes (figure 1), voire aériennes, aux cartes des réseaux de transports sahariens (figure 2) : toujours avec le moins de détours possibles, ces routes sont des trajets qui lient un point à un autre, oasis, îles (ou leur port), villes (ou leur aéroport). Entre, des étendues vides ou presque, des horizons qui n’ont pour vocation, pour les hommes qui les empruntent, que d’être traversés. Ces espaces à une dimension des routes sont des intervalles, des entre-deux, des suspensions qui ne tolèrent guère d’autres activités que la traversée. Le point de vue est différent pour les groupes humains, de faible densité, qui y pêchent ou qui y font paître : ils ne sont pas eux-mêmes cependant déconnectés de l’oasis ou du port, ils y reviennent toujours.