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par Vincent Battesti

 Élaboration d’une anthropologie des mondes sonores.

C’est un projet sur le long terme. Pour l’instant, deux choses : accumulation de données enregistrées d’ambiances sonores et réflexions sur l’invention de ce domaine de recherche.

Les supports d’enregistrement, depuis 1994, ont été analogiques avec la minicassette, puis numériques avec le minidisque et maintenant la mémoire flash SD.

 Que fais-je de ces sons accumulés (collectage) ?

 Pour quoi faire finalement ?

La diversité des sons et des situations enregistrés est d’abord une matière qui sert comme matériau brut d’enquête, comme document d’illustration et ensuite comme support d’enquête.
Cette variété me permet par exemple de définir une ambiance ou les variations d’ambiance : est-on en oasis, en environnement urbain ? au Maghreb, au Proche-Orient ? un jour de festivités, un jour du quotidien ?
Au-delà du document d’illustration, il convient de penser à de nouvelles formes d’écriture en anthropologie. Les nouvelles technologies devraient nous le permettre.
Comme support d’enquête, le protocole de test est en cours : il est intéressant de noter comment réagissent différentes catégories d’acteurs à l’écoute de sons que j’ai préalablement enregistrés. Reconnaissent-elles les sons, les ambiances ? les aiment-elles ou non ? comment les qualifient-elles ? qu’est-ce qu’ils leur suggèrent ? un moment (lequel) ? un lieu (lequel) ?

Enfin, le plus « excitant » intellectuellement est de réfléchir aux ambiances sonores comme à des objets à appréhender globalement et surtout comme des objets construits socialement. C’est là aussi l’apport possible et important d’une démarche anthropologique. Les ambiances (sonores en particulier) sont des structures socialement structurées, elles possèdent du sens, socialement signifiant… On peut dire que les ambiances sonores ne sont pas le fait du hasard, elles sont des productions sociales. C’est à ce titre que j’ai pu reprendre partiellement une grille élaborée pour l’ethnomusicologie par Steven Feld (1984) [1]. Cette grille d’analyse, je la décompose en cinq points : la compétence, la forme, la production, l’environnement et le discours.

C’est une ethnographie minutieuse qui est requise pour continuer ce travail sur les ambiances sonores. Cette ethnographie est d’autant plus difficile à concevoir et ensuite à mettre en place que les ambiances sont aujourd’hui des objets encore peu légitimes. Mais une grille d’analyse devrait permettre l’analyse comparative entre différents « lieux d’ambiances » (et en pensant à mon terrain urbain au Caire, on peut parler de « lieux incarnés » tant ces ambiances dépendent de la coprésence des acteurs).

 Et ensuite ?

Ensuite, j’ai proposé à Nicolas Puig (IRD) une collaboration autour de la notion de réception du sonore au Caire.
Nous mettons en place depuis l’automne 2011 un dispositif d’enregistrement de parcours quotidiens de Cairotes objectifs/subjectifs avec restitution sous forme d’écoutes réactives, permettant de verbaliser la réception des sons de la ville.
À suivre…

Pas vraiment le dispositif que nous mettons en place…
Part of a series of pictures depicting Frances Densmore at the Smithsonian Institution in 1916 during a recording session with Blackfoot chief Mountain Chief for the Bureau of American Ethnology.
Library of Congress caption : « Blackfoot Chief, Mountain Chief making phonographic record at Smithsonian, 2/9/1916. »
National Geographic caption : « This 1916 image of Frances Densmore and Blackfoot leader Mountain Chief listening to a cylinder recording has become a symbol of the early songcatcher era. »
Date : 9 February 1916

Plus d’infos bientôt ici...
Surveillez aussi la rubrique Sono.

 Ah, finalement…
Ce que j’oublie de dire : ce qui est passionnant est le constat que, depuis la modernité en Europe, on a toujours privilégié le sens de la vue au dépens des autres. Que ce soit dans le jardin à la française (où tout est sculpté, où tout n’est qu’ordre, calme… sans volupté) ou dans la pratique scientifique, en anthropologie aussi qui fait sur le terrain de l’observation… qui reste sourde. Pourtant, l’espace sonore est une composante de l’espace social : les sons rythment le temps, définissent les espaces, singularisent les ambiances.…

Tandis que dans le jardin oasien classique du Jérid tunisien ou à Siwa en Égypte, les cinq sens sont tous sollicités et l’aspect esthétique s’accorde une dimension quasi épicurienne, voici a contrario des exemples de constructions naturelles, de jardins en Europe où, à l’évidence, c’est la dimension visuelle qui est privilégiée dans la hiérarchie de sens :

(Il est plus facile de faire montre du privilège accordé au regard qu’à l’ouïe… !)
Crédit des images : voir http://bibliodyssey.blogspot.com/20...


 Suggestions de lectures sur le sujet :

Portfolio

Enregistrements dans le Berry La Borne, 16 juin 2007 © Bruno Scotti

[1Feld S., 1984.- Sound Structure as Social Structure. Ethnomusicology, 28 (3) : 383-409