En ce qui concerne Le Caire, l’objectif est de définir les modalités d’usage et de comportements dans les espaces publics et en particulier dans les jardins publics et le centre-ville, tous deux « inventés » au XIXe s. par un courant réformiste urbain (ce travail aborde donc aussi la morphologie des lieux et leur histoire).
Il s’agit de comprendre l’évolution même de l’espace public dans une ville arabe, Le Caire en particulier, l’invention de certains de ces lieux comme les jardins publics, et l’usage qu’en ont/qu’en font les Cairotes (bien sûr en distinguant les différents types de fréquentations et d’usagers). Ainsi, ces deux types d’espaces sont — du point de vue de ses actuels usagers populaires — en voie de « démocratisation » et en même temps — du point de vue des anciens usagers bourgeois (avant le tournant 1960-1970) — en pleine dégradation (et en même temps de patrimonialisation maintenant que ces espaces leur échappent). Le travail s’effectue essentiellement par observation et entretien à la manière anthropologique, et une approche plus livresque dans sa dimension historique. En abordant dans mon travail cairote ce que j’appelle les « petites natures urbaines », la coupure est-elle radicale entre Le Caire capitale et la distante Siwa ?
Voir en particulier ces pages-ci :
– Des espaces publics au Caire : les jardins publics.
– The Giza Zoo : Re-Appropriating Public Spaces, Re-Imagining Urban Beauty.
Il est aussi possible de jeter un coup d’œil au mot-clef « urbain » ou au mot-clef « Le Caire ».
– Pratiques des jardins et l’espace public aujourd’hui.
Quelles modalités d’occupation de l’espace public au Caire et ses évolutions ? Pour Debarbieux (2001), « l’espace public est souvent celui dans lequel la fabrique des artifices atteint l’extrême sophistication même si parfois elle le fait à partir de la matière végétale et au nom d’une certaine idée de la nature comme dans les parcs urbains. L’espace public est donc éminemment matériel, fait d’une matière travaillée dans la perspective d’un usage collectif qu’elle est censée conditionner. Mais la relation entre forme spatiale et forme sociale ne se résume pas à cette relation entre contenant et contenu […] » Les « détournements » par les usagers d’un espace ou de mobiliers urbains sont là pour nous le rappeler (par exemple un raccourci qui se crée pour couper les lacets du chemin balisé). Il y a-t-il concordance entre contenant et contenu, formes et pratiques ? Les jardins publics conçus dans un esprit de salubrité publique ne « fonctionnent » que si « l’ambiance est bonne » (si l’on est aussi tassé que dans son quartier d’origine) ; ce qui était conçu par les urbanistes comme des interstices de verdure (plutôt que de béton) est investi par les corps des cairotes : on y pique-nique, on y dort, on y discute, on y drague, on y prie… L’étroit contrôle des autorités est aisément détourné au profit de créations d’ambiances urbaines de récréation agreste « hors champ », et ce qui peut sembler paradoxal, au sein même et sans se soustraire d’un environnement saturé de gens, de sons, d’odeurs, de pollutions urbaines. C’est une forme particulière de sociabilité qui y est recherchée : pas celle des jardins des oasis jeridi (en Tunisie), qui opère entre hommes, entre amis et dans le dialogue, mais une sociabilité de boulevard, qui s’abstient d’être trop regardante entre des anonymes, sans dialogue au-delà des groupes mixtes (souvent familiaux) qui s’installent là sur l’herbe. On vient ici goûter à la ville et à son ambiance, participer à un spectacle que la ville engendre en se regardant elle-même. Pour reprendre Isaac Joseph (1998), il faut saisir en même temps le citadin et l’espace dans lequel il évolue, « penser ensemble des dispositifs (des opérateurs ou des « programmes ») qui élaborent ou instituent des normes d’usage et des dispositions (des compétences sociales et techniques) qui ajustent ou redéfinissent ces normes d’usage dans une situation singulière ».