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par Vincent Battesti

HDR | Habilitation à diriger des recherches, discipline : Anthropologie, Cultiver son anthropologie dans le champ d’une ethnoécologie augmentée, soutenue à Paris, le 20 oct. 2021.

Composée de deux volumes :
 volume 1 : Curriculum vitæ pour l’habilitation à diriger des recherches, École doctorale 227 du Muséum national d’histoire naturelle-Sorbonne Université « Sciences de la nature et de l’homme : évolution et écologie », Discipline : Anthropologie
Muséum national d’histoire naturelle, oct. 2021, ill., 25 p.
 volume 2 : Cultiver son anthropologie dans le champ d’une ethnoécologie augmentée, Dictionnaire notionnel intime d’un parcours de recherche, Mémoire de synthèse pour l’habilitation à diriger des recherches, École doctorale 227 du Muséum national d’histoire naturelle-Sorbonne Université « Sciences de la nature et de l’homme : évolution et écologie », Discipline : Anthropologie
Muséum national d’histoire naturelle, oct. 2021, bibl., 50 fig., 129 p.

 PDF mémoire volume 2 : https://hal.science/tel-03462194
 Rapport de soutenance :

Attestation + rapport de soutenance de l’HdR de M. V. Battesti, 2021

Composition du Jury :

 Rapporteurs :
Laure Emperaire, Ethnobotaniste, directrice de recherche IRD, UMR Paloc au Muséum national d’histoire naturelle, Paris,
David Howes, Anthropologue, professeur, Université de Concordia, codirecteur du Centre for Sensory Studies et directeur du Concordia Centre for Interdisciplinary Studies in Society and Culture, Montreal, Canada,
Anna Madœuf, Géographe, professeur, Université de Tours, lab. CITERES, Tours.
 Examinateurs :
Tarik Dahou, Anthropologue, directeur de recherche IRD, UMR Paloc au Muséum national d’histoire naturelle, Paris,
Nicolas Puig, Anthropologue, directeur de recherche IRD, UMR URMIS, Paris, Correspondant de l’IRD au Liban, Beyrouth,
Sandrine Ruhlmann, Anthropologue, chargée de recherche CNRS, UMR Éco-anthropologie, au Muséum national d’histoire naturelle, Musée de l’Homme, Paris.

 Bientôt en ligne : vidéo de la soutenance.

couv. HDR Vincent Battesti, Cultiver son anthropologie dans le champ d’une ethnoécologie augmentée, vol. 1, Curriculum Vitæ, 2021.
© Vincent Battesti
couv. HDR Vincent Battesti, Cultiver son anthropologie dans le champ d’une ethnoécologie augmentée, vol. 2, Dictionnaire notionnel intime d’un parcours de recherche, 2021.
© Vincent Battesti

 Résumé :

Si l’on se prête au jeu d’une restitution biographique déchronologisée de mon parcours de recherche, je peux le résumer grossièrement comme suit :

J’ai fait des oasis mon laboratoire d’ethnoécologie : comprendre comment les sociétés s’organisent dans des environnements à fortes contraintes. Les contraintes obligent-elles à une façon univoque de construire son monde ? Visant une approche comparative, j’ai mené une recherche de terrain multisite avec observations et analyses dans différentes oasis du Sahara et d’Arabie. Il appert que coexistent différents registres de la praxis oasienne (registres socioécologiques, qui peuvent former des ressources), différentes manières d’habiter et de construire le monde, coexistent au sein des différentes oasis-laboratoires étudiées. De plus, différents modèles d’oasis et de palmeraies peuvent coexister au sein d’un même type d’environnement, a priori défavorable à la vie humaine avec de fortes contraintes écologiques (déserts sahariens et arabiques).

De l’étude des agroécosystèmes oasiens, j’ai déduit un modèle d’oasis. J’en ai extrait, à des fins heuristiques, un élément loin d’être anodin : le palmier dattier (Phoenix dactylifera L. en classification botanique binomiale). En sus d’une approche globale du système formé par les collectifs associant humains et non-humains dans les oasis, je me suis concentré sur ce seul palmier dattier, qui n’existe que dans la sphère des humains, motivé par la conviction qu’en m’associant à des collègues tenants de la génétique des populations, je pourrai répondre à des questions qui seraient restées insolubles dans les strictes frontières de ma discipline. J’ai exploré les notions de catégorisation du vivant et, ce faisant, rapproché des mondes aux rationalités très différentes (l’ADN des biologistes et la forme des variétés de palmiers dattiers cultivés dans les jardins des oasis : en découle l’invention de la notion d’« éthnovariété »). Je pouvais aussi contribuer à une histoire de la domestication de cette plante et peut-être à une histoire des oasis.

J’ai soumis les objets oasis et palmiers dattiers à l’épreuve de ce que j’ai appelé ma théorie insulaire des oasis, qui reprend des notions de l’écologie du paysage (modèles théoriques de dispersion) et les théories des réseaux. De cette réflexion théorique découlent des outils conceptuels écologiques et anthropologiques tels que la connectivité fonctionnelle ou le « principe du peu mais efficace ».

Aux manières d’habiter et de construire le monde (approche inhérente à l’ethnoécologie), j’ai ajouté les manières d’être au monde, de connaître et d’agir sur le monde, avec une anthropologie des perceptions sensorielles, dans la perspective de proposer une ethnoécologie augmentée. L’ambition est d’étudier la variété des interactions sensorielles que les humains en société peuvent tisser avec leur environnement. Malgré un équipement sensoriel a priori commun à tous les représentants de l’espèce Homo sapiens, il coexiste des manières d’être au monde d’une extraordinaire hétérogénéité du fait d’apprentissages sensoriels culturellement situés. Si les sens sont les moyens de connaissance de son environnement et d’action sur celui-ci, il convient d’intégrer à l’ethnoécologie l’étude des sensibilités, des balances et des combinaisons sensorielles privilégiées par les humains en société, l’étude en situation de leurs univers sensoriels (sensorium) tant d’un point de vue de la science (etic) que dans la perspective de ses interlocuteurs (emic) sur le terrain ethnographique.

Cet intérêt pour le sensoriel est issu d’un travail en anthropologie urbaine, qui avait pour terrain l’urbain arabe du Caire. J’y ai démontré la construction (au sens constructiviste) des espaces publics, y compris les jardins publics, et l’évolution au cours des dernières décennies des pratiques qui y prennent place et des qualités qui leur sont assignées. Une modalité sensorielle se révélait saillante : la dimension sonore, sans que le langage naturel local soit clairement structuré pour en rendre dicible l’expérience. Une part de mon activité de recherche fut consacrée justement à inventer des outils pour permettre à l’anthropologie de se saisir de cette dimension de l’expérience urbaine des habitants, à la fois récepteurs et producteurs sonores.

L’Observatoire spatial du CNES m’a offert l’opportunité d’investir la graviception comme objet de recherche sur le sensoriel : un objet-limite, un quasi-impensé universel tant les variations de la gravité terrestre sont imperceptibles pour les humains. L’apesanteur, qui relevait jusqu’alors du récit mythique, de la mystique ou de la fiction, est pourtant devenue le marqueur de ce nouvel espace extraterrestre investi par un peu des humains. Ce travail de terrain « extraterrestre » est unique qu’il nous emmène loin de toute référence connue par l’humanité, et offre une rupture certaine et subversive avec l’ordre naturel du monde.

J’ai initié il y a peu de temps un nouveau modèle, un nouveau travail de terrain (terrestre) : la vallée d’Orezza en Castagniccia, une région singulière de la Corse. Le projet est d’établir une anthropologie du (presque) proche, une ethnoécologie qui prend appui sur les expériences oasiennes, informée par le sensoriel, informée par la génétique. L’idée est de faire sur le modèle du palmier dattier une génétique des populations appliquée à l’agrobiodiversité du châtaignier (Castanea sativa Mill. en classification botanique binomiale), également une espèce ingénieure, en l’occurrence de l’agroécosystème du châtaignier, en déprise. Dans le même temps, le projet s’appuie sur une démographie historique et des généalogies villageoises (sur deux siècles) et l’évolution foncière cadastrale (sur un siècle).

Ce mémoire peut paraître inhabituel : un mémoire non linéaire. Il prend la forme d’un dictionnaire intime et notionnel. En tant qu’exercice réflexif, ce mémoire débute par une « définition de soi » très autobiographique et se poursuit par une quarantaine d’entrées notionnelles quelque peu arbitraires. Par cette démarche analytique, j’espère éclaircir les problèmes, ici anthropologiques, en examinant et clarifiant le langage dont on se sert pour les formuler, avec l’ambition d’éclairer la ou les voies que j’emprunte et faire la démonstration de la cohérence de l’ensemble.