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par Vincent Battesti, Élise Geisler, Christophe Mager, Laurent Matthey

Coordination d’un numéro de la revue VertigO par Vincent Battesti, Élise Geisler, Christophe Mager & Laurent Matthey.
 Entre controverses environnementales et projets d’aménagement : le paysage à l’épreuve des sens
vol. 18, n°3, décembre 2018 (publié en août 2019 par la revue)
DOI : 10.4000/vertigo.22515
En ligne : https://journals.openedition.org/ve...
PDF : https://hal.science/hal-02283435

La coordination de ce dossier est assurée par une équipe de rédacteurs associés composée de Vincent Battesti (Centre national de la recherche scientifique, UMR 7206), Élise Geisler (Agrocampus Ouest, UMR ESO), Christophe Mager (Université de Lausanne) & Laurent Matthey (Université de Genève).

 Résumé :

Le paysage n’est pas que visuel, il est également composé d’autres dimensions sensibles (sonore, olfactif, tactile, etc.) Ainsi, lorsqu’il est question d’expérience paysagère, c’est en quelque sorte la totalité sensible qui est appelée. Plusieurs éléments viennent toutefois influencer cet outil d’aménagement de l’espace qu’est l’expérience paysagère. Un contexte historique, une culture, une position dans l’espace social, ou encore des aspects du paysage lui-même (variation de ses matérialités, sa texture, sa structure), ainsi que les modalités de déplacement du corps dans l’espace, tout cela peut être autant d’éléments qui viennent l’influencer.

C’est ce paysage multisensoriel que ce dossier tente d’appréhender. Pour ce faire, architectes, graphistes, paysagistes, plasticiens, sociologues, écologues, ethnoécologues, philosophes, géographes et chercheurs en urbanisme ont abordé dans leurs textes la manière dont le paysage sensible est utilisé comme vecteur de mobilisation. Y sont également traitées, des méthodologies qui permettent de rendre compte des rapports sensibles ainsi que la manière dont s’appréhende l’espace sensible en tant qu’outil et objet de l’aménagement.

 Sommaire :

Vincent Battesti, Élise Geisler, Christophe Mager et Laurent Matthey
Entre controverses environnementales et projets d’aménagement : le paysage à l’épreuve des sens [Texte intégral]
Introduction

  • Les sensibilités paysagères

Diane Linder
L’esthétique environnementale comme cadre de pensée pour appréhender la « sensibilité paysagère » : perspectives historiques et débats contemporains [Texte intégral]

Catherine Sabinot, Valentine Boudjema, Matthieu Le Duff et Pascal Dumas
Mémoires des sens et des paysages littoraux sur l’île d’Iaai (Ouvéa en Nouvelle-Calédonie) [Texte intégral]

Éric Voundi, Carole Tsopbeng et Mesmin Tchindjang
Restructuration urbaine et recomposition paysagère dans la ville de Yaoundé [Texte intégral]

  • Les méthodologies du sensible

Jean-Paul Thibaud
Vers une climatique du littoral. Une ethnographie sensible au milieu ambiant [Texte intégral]

Mohsen Ben Hadj Salem et Chiraz Chtara
Le paysage sonore comme révélateur de l’esprit du lieu : une sécrétion latente [Texte intégral]

Mathilde Christmann et Élise Olmedo
Promenades sensibles à performer. Des « cartes-partitions » pour concevoir et expérimenter un lieu : le FDR Memorial à Washington D.C, USA [Texte intégral]

Emeline Bailly
Sentir le mouvement, éprouver la ville [Texte intégral]

Théa Manola, Élise Geisler, Silvère Tribout et Jean-Dominique Polack
Quelle place du sonore dans la production urbaine ? Éclairage par les postures et pratiques professionnelles dans le cadre du diagnostic sonore urbain [Texte intégral]

  • Outil et objet de l’aménagement

Marine Legrand et Léo Martin
L’extension du domaine des herbes hautes : itinéraires croisés dans la gestion des prairies urbaines [Texte intégral]

Sophie Bretesché
Le risque environnemental à l’épreuve des usages des paysages. Le cas de trois anciennes mines d’uranium françaises [Texte intégral]

Philippes Mbevo Fendoung, Eric Voundi et Carole Tsopbeng
Dynamique paysagère du littoral kribien face aux pressions de l’agro industrielle et de l’urbanisation [Texte intégral]

Anne Petit, Daniel Siret et Nathalie Simonnot
Couleurs et paysages : une nouvelle approche de planification de la couleur par les effets chromatiques [Texte intégral]

Stéphane Collet
Que reste-t-il sur terre quand la sensibilité s’absente ? Manifeste pour un paysage jubilatoire [Texte intégral]


 Appel détaillé :
Deadline : 15 mai 2017.
Pour en savoir plus sur l’appel aux textes : https://vertigo.revues.org/18264

Dans les années 1990, quand le paysage fait son retour dans le champ de la pratique aménagiste, à titre d’« alternative » (Marot, 1995) à certaines dérives de l’urbanisme moderne, la question du sensible est un champ émergent des sciences sociales, qu’elles soient de l’environnement ou de l’aménagement. On commence alors à questionner les « ambiances » ou les « atmosphères » (cf. travaux du CRESSON à Grenoble, réseau international Ambiances). On cherche à comprendre ce qui détermine les qualités d’un lieu. On souhaite identifier des déterminants de l’attachement à un espace donné, réinterprétant les découvertes, déjà anciennes, des approches phénoménologiques de l’espace (on pense ici à la humanistic geography des années 1970). On s’intéressera bientôt aux affects « pour penser et concevoir la ville » (Bochet, 2008 : 253).

Les savoirs et pratiques de l’aménagement s’apprêtent en effet à prendre un « tournant esthétique ». Celui-ci pourrait être défini comme une propension à penser les pratiques sociales à partir d’un référentiel esthétique, qui, mobilisant les champs de la perception et des sens, s’attache à comprendre la qualité des lieux du monde. La question d’une humanité sensible en prise avec le monde devient une question centrale de la production des territoires.

La thématique n’est pas neuve. Au XVIIIe siècle déjà, dans le champ de l’art des jardins, le goût des lacis des jardins paysagers se substitue à la mode des géométries des jardins à la française. Le nouvel art d’aménager les jardins doit alors amener le visiteur à découvrir successivement différentes vues, divers éclairages qui constituent autant de manières de stimuler son imagination, de faire advenir des idées (Baridon, 1998). C’est au moyen de son appareil sensible que l’être humain pense et peut formuler des idées ; le rôle de l’aménagement de l’espace est d’activer l’appareil perceptif de manière à favoriser un jeu des sensations propres à favoriser l’émergence d’idées générales par la médiation du jugement et de la mémoire (Matthey, 2007 : 158-159).

Très tôt, donc – dans son histoire principalement occidentale (Cauquelin, 1989), tant il est lié à l’invention de schèmes artistiques et cognitifs européocentrés (Baxendall, 1972 ; Roger, 1997) –, le paysage s’enrichit de nouvelles dimensions sensibles, s’émancipant du primat classique du visuel pour se faire multisensoriel : visuel certes, mais aussi sonore (Geisler, 2012), olfactif (Grésillon, 2010), tactile avant que l’on ne parle de son goût. L’expérience paysagère est celle d’une totalité sensible qui englobe l’être dans le monde (Besse, 2009). Cette expérience est toutefois fortement influencée par un contexte historique, une culture, une position dans l’espace social, des moments du parcours de vie… Elle est également troublée par la variation des matérialités du paysage (paysage rural, paysage des infrastructures…), sa texture (paysage végétal, construit, hydrologique), sa structure (géomorphologique, anthropologique…) et par les modalités de déplacement du corps dans l’espace. Cette expérience est enfin un outil d’aménagement de l’espace. Elle permettrait en effet d’approcher l’esprit du lieu, d’entrevoir les « intouchables » qui fondent son identité. Privilégier une approche sensible, polysensorielle des lieux d’une intervention participerait ainsi, sinon d’une science, du moins d’un art de l’intervention sensible au milieu — à plus forte raison que l’expérience paysagère investit aujourd’hui plus largement les paysages de l’ordinaire et du quotidien (Bigando, 2008).

C’est ce paysage multisensoriel que souhaite appréhender ce numéro de VertigO — la revue électronique en sciences de l’environnement. Pour ce faire, on empruntera trois focales.

1) La première s’intéresse à ce que l’on pourrait appeler les sensibilités paysagères. On s’attachera ici à mieux saisir les dimensions esthétiques des controverses paysagères, en focalisant sur les régimes sensoriels des mobilisations citoyennes. De la densification d’une zone de villas à l’implantation des grandes infrastructures de transports, en passant par l’installation d’éoliennes, le paysage a en effet cette capacité de rendre sensible des transformations sociétales qui impactent le cadre de vie. Lieu de manifestation et d’aperception de « ce qui change », le paysage sensible est un puissant vecteur de mobilisation. Comment les dimensions sensibles du paysage sont-elles mobilisées par les acteurs de ces controverses ? Comment les interventions sur le corps des paysages ordinaires (Dewarrat et al., 2003) viennent-elles bouleverser l’écologie sensorielle des collectifs habitants ?

2) La deuxième s’attache aux méthodologies du sensible (Manola, 2013). Il s’agira d’interroger les dispositifs méthodologiques les plus aptes à rendre compte de la multiplicité des rapports sensibles au paysage et des valeurs qui lui sont attribuées. Comment dévoiler les mécanismes qui régissent l’attachement à un paysage (Thibaud, 2015) ? Comment révéler les liens entre les pratiques quotidiennes et les réalités affectuelles d’un paysage ? Quelle place donner aux entretiens, aux processus délibératifs (forums, focus groups, etc.), aux parcours commentés, augmentés (Feildel et al., 2016), aux techniques de représentation issues à la fois des sciences humaines et sociales et de la conception spatiale (cartes mentales, cartes sensibles, cartes dynamiques, blocs-diagrammes, transects…), etc. afin de mettre en langage et en forme tant les expériences sensibles du rapport au paysage que les significations qu’on lui prête ? Quelles sont les difficultés persistantes d’une opérationnalisation du sensible (réticences liées à l’expression de l’intime, faiblesses lexicales, indicibilité de l’expérience sensorielle, souvent inconsciente, etc.) ? Comment explorer les rapports multisensoriels au paysage en articulant les échelles individuelles et collectives ? Comment anticiper les rapports sensibles à des paysages non encore existants (Morello et Piga, 2015) ?

3) La troisième focale s’intéresse à l’espace sensible considéré comme outil et objet de l’aménagement. Depuis quelques années en effet, et notamment en lien avec une considération croissante de la parole et du vécu habitants, les approches visant à fonder le sensible comme levier des projets d’aménagement du territoire connaissent un succès croissant. Ces approches, développées de plus en plus dans les formations des concepteurs spatiaux, se fondent sur le postulat voulant que l’expérience — individuelle ou collective —, les données sensibles issues du paysage sensoriel, soient à l’origine d’un diagnostic plus fin des sites de projet. S’intéresser aux sens ferait émerger une ontologie des lieux que les seuls relevés de leurs caractéristiques ne pourraient saisir. Cette volonté de laisser parler les lieux pour faire projet s’inscrit dans une posture aménagiste qui se revendique d’une éthique de l’inversion paysagère (Cogato, 2005), propre à fonder une « architecture des milieux » (pour reprendre une expression chère à Chris Younès, 2010), en ce sens qu’elle participerait d’une pensée de l’environnement. Mais elle est aussi susceptible de cacher d’autres enjeux, plus politiques. Le travail sur le sensible participe en effet parfois à une entreprise de déstabilisation des cadres aprioriques d’organisation de la ville collective. Il peut par exemple rendre plus flou, plus poreux le périmètre d’un quartier (Matthey, 2015). Il peut bouleverser des images plus quantitatives. Cette focale s’intéressera donc à comprendre comment le recours au sensible travaille les dynamiques des projets d’aménagement, pour le meilleur ou le pire de leurs destinataires.

 Détail sur le site de la revue :
https://vertigo.revues.org/18264

URL : VertigO

Portfolio

in the air, golden earth under clouds, April 16th, 2019, Vincent Battesti © Vincent Battesti