Exposition Nature vivante : regards d’enfants
Une oasis berbérophone, Siwa
L’oasis, ou la nature dans un jardin
Vincent Battesti, conseiller scientifique
Unique enclave berbérophone d’Égypte, l’oasis de Siwa était une étape caravanière importante pour les pèlerinages (vers la Mecque) et le commerce (avec le Soudan). La route asphaltée construite en 1984 la relie maintenant à la côte méditerranéenne à 300 km de là.
L’oasis est puzzle de milliers de jardins. Le désert, lui, est perçu comme la négation du civilisé, le rien, le vide : les dessins des enfants ne le représentent pas. L’oasis est une nature domestique, au sein de laquelle seuls les hommes travaillent. À l’occasion du moment privilégié des pique-niques, le jardin devient lieu récréatif, où les femmes profitent de la verdure et les enfants jouent. Palmier et olivier y sont les arbres nourriciers par excellence. L’eau, élément essentiel de la vie, est symbolisée par le disque bleu des sources antiques. Omniprésents, les animaux sont cependant peu détaillés par les enfants.
Les moyens de locomotion sont très illustrés. Les enfants se déplacent avec les adultes en charrette (et on rêve de l’auto). Aucun n’utilise la bicyclette, moyen de locomotion individuel ordinaire des jardiniers.
Écologie et culture locale sont objets de débats permanents chez les Isiwan, interpelés à la fois par les questions d’environnement et de développement touristique.
Les jardins d’oasis, natures cultivées et récréatives représentées
Ce qui peut sembler exotique vu d’ici n’est rien d’autre que très banal pour les oasiens : les palmiers sont leur quotidien, une oasis est là, elle leur préexistait et ils présument que le paysage oasien leur survivra. L’exotisme est ailleurs. Il n’empêche que les hommes donnent toujours un sens à leur environnement, qu’il soit « naturel » ou artificiel, anthropique comme l’est la nature oasienne (créée ex nihilo de la main de l’homme).
Les grilles de lecture fondamentales se transmettent de génération à génération, au plus jeune âge, pour comprendre ce que l’on voit ; apprendre à reconnaître l’oasis, à en discerner les limites, à distinguer les diverses espèces végétales et animales… À tous, cet ensemble d’opérations, ici comme ailleurs, paraît naturel puisqu’il n’est jamais perçu comme une opération de lecture, mais de vision. Il s’acquiert pourtant.
Cela dit, le caractère « naturel » de nos représentations des environnements (discours, dessins ou autres) s’affaiblit avec la comparaison : le travail de l’ethnologue met à jour et analyse ces grilles (sociales et personnelles) de lecture dont l’arbitraire alors transparaît inéluctablement. Avouons-le : c’est avec les enfants que ce travail est le plus facile, aussi longtemps que les enfants n’ont pas conscience que l’on peut lire, juger leur travail de représentation.
Les enfants de Siwa ont représenté leur nature : l’oasis et ses jardins. La nature représentable, c’est cela : le cultivé, l’anthropique, les espaces où l’on se déplace, même si on signale parfois les « montagnes », toujours lointaines, mais repères essentiels. Le jardin est un endroit où l’on se rend (les moyens de transport), décrit presque à égalité comme un lieu de travail et un lieu de récréation. Les enfants (en particulier les petites filles qui n’aideront pas leur père) sous-estimant la quantité de travail investie dans ces terres irriguées et cultivées. Les enfants s’y rendent en effet surtout à l’occasion de fêtes, parfois célébrées dans le jardin en famille, ce qui explique la présence dans certains dessins de gâteaux ou d’habits traditionnels de fête (voire le voile de mariage brodé). Quelle que soit la scène naturelle dessinée, la présence humaine est permanente : la nature oasienne est résolument domestique.