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Natures in the city, Dreams, claims and practices: For a compared project from Cairo.
– Original title:
Les natures dans la ville, Rêves, revendications et pratiques, Pour un projet comparé à partir du Caire,
XVIIe Congrès de l’AFEMAM, Mythes et réalités des mondes musulmans. Narration, transcriptions, représentations, atelier Les sciences et leur effets.représentations et usages de la modernité au Moyen-Orient, Maison de l’Orient Méditerranéen et Institut d’Études politiques. Lyon (France), July 2nd-4th, 2004.
– Transcription of the lecture proposal (in French):
PLecture proposal for the workshop organized by Anne Marie Moulin at the AFEMAM 2004 (in Lyon).
Vincent Battesti
Les natures dans la ville, rêves, revendications et pratiques, Pour un projet comparé à partir du Caire.
L’on sait que l’une des figures importantes de la modernité triomphante a été le projet de redéfinir les relations des hommes avec la nature : il ne s’agissait plus d’être inclus dans la nature (ou de se considérer tel), mais de sortir de la nature (au moins de façon discursive) pour avoir les moyens de la maîtriser. Aujourd’hui, ce qui se défend le plus, dans les discours et parfois les pratiques, est une réconciliation entre l’homme et la nature, une réconciliation fondement d’une nouvelle modernité, mais dont les termes ne sont pas clairement établis (voir par exemple les courants environnementalistes).
Nous connaissons aujourd’hui la ville construite en antagonisme, de façon presque essentielle, avec la nature souvent emblématisée par la campagne, les jardins. Cela a-t-il toujours été le cas (évocation du Caire médiéval), cela est-il toujours le cas aujourd’hui (l’exemple de Taez et Sanaa au Yémen) ? Cet antagonisme, par ailleurs, est contredit par les innombrables projets de cités utopiques toujours rêvées, qui apporterait le cadre idéal à l’épanouissement de l’humanité. Les derniers avatars de cette quête sont, dans le paysage urbain contemporain (par exemple du Caire), le garden city au début du XXe siècle ou aujourd’hui les villes privées périphériques aux débauches de gazons et cascades artificielles (des gated communities pour upper classes). Les connexions tout à fait évidentes entre la ville et la nature n’empêchent pas des définitions ou des affirmations d’identités proprement urbaines, conduisant même finalement à des constructions de natures citadines.
Dans la perspective de questions sur la modernité, l’histoire de la présence des jardins au Caire, et des jardins publics en particulier, est à ce niveau tout à fait éclairante : concept et espace du jardin public font leur entrée sur la scène cairote au dix-neuvième siècle, en 1837 exactement, en même temps et accompagnant la modernité d’une ville nouvelle, le Wast el-Balad, en annexe du vieux Caire. Nouvelle centralité urbaine, Le Caire moderne déploie des jardins dans un double souci propre à l’époque : hygiénisme et vitrine moderne à fréquentation bourgeoise. Le jardin de l’Ezbekiyeh est tout à fait emblématique à cet égard. Nul étranger de passage qui relate son séjour au Caire à cette époque n’ignore ce jardin, espèce de quintescence d’un petit Paris oriental. Doublement emblématique, car ce jardin a été construit à l’emplacement d’un lac (le lac de l’Ezbekiyeh) dont le niveau fluctuait avec celui du cours du Nil. Il est inutile de rappeler ici l’idée qui était attaché aux marais, aux miasmes qu’ils étaient censés véhiculer, et la mesure hygiéniste qui s’imposait de les assécher.
Aujourd’hui, qu’en est-il ? En se penchant d’abord sur les jardins publics, forme particulière d’espace public de « nature » dans la ville, il pourra être fait le relevé de contradictions mais aussi de sympathies entre revendications et pratiques. Les Cairotes s’inventent des natures, parfois à la limite du bricolage ou du braconnage, et l’on peut parler des « petites natures urbaines » lorsque l’on traite de ces ronds-points, ces dessous d’autoponts ou autres espaces interstitiels réquisitionnés pour contenter des pratiques de pique-niques champêtres. En pourchassant plus loin la présence de ces natures urbaines, les balcons et rebords de fenêtres, les fleuristes, arbres d’alignement officiels et officieux ainsi que certains animaux doivent être mobilisés pour cette discussion.