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– ِ Ethnobotanical approach of a Saharan Oasis: Djanet (Algeria)
– Original title:
Approche ethnobotanique d’une oasis saharienne: Djanet (Algérie),
main DEA dissertation in Social Sciences, Université R. Descartes Sorbonne (Paris V), U.F.R. Sciences Sociales & Muséum national d’Histoire naturelle, Laboratoire d’Ethnobiologie - Biogéographie, Paris, September 1993, 96 p.
Format: 30 cm., 9 fig., 15 photog., bibl., 43 p.
Dissertation of research directed by Pr Raymond Pujol.
Diplôme d’études approfondies (DEA) de Sciences sociales, Cultures et comportements sociaux, option anthropologie.
This research thesis was following one month fieldwork in Djanet, April 1993, a Tuareg oasis in the remote South-West of Algeria. I was looking for o establish an “ethnoecosystem”, as defined by my professor Raymond Pujol.
– Link to the Muséum national d’Histoire naturelle web site.
– Abstract in French, Text of my DEA dissertation defense in Sciences Sociales (Monday, Sept. 27th 93):
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Approche ethnobotanique d’une oasis saharienne: Djanet (Algérie)
Introduction.
L’ethnobotanique (…) est concernée par toute les interactions entre l’homme et son environnement végétal. Les études peuvent être de détail, consacrées par exemple à l’usage d’une plante, ou beaucoup plus globale, comme la compréhension, l’organisation et la mise en valeur du milieu végétal environnant par une catégorie de personnes.
En l’occurrence, ce milieu sera Djanet, une oasis du désert saharien central, et la population, des touareg Kel Ajjer sédentarisés. Le milieu oasien a cela d’intéressant qu’il est une enclave de verdure dans un monde minéral, et que ce foisonnement ponctuel de vie ne doit rien à une extravagance de la nature mais au travail seul de l’homme associé à la présence d’eau en surface ou en profondeur. L’oasis n’a pas à proprement parler de végétation spontanée, mais se présente comme un grand jardin artificiel de culture destinées souvent à l’autoconsommation, comme c’est le cas à Djanet. Le rapport aux plantes est de deux types. On peut considérer d’une part la gestion pratique de la végétation (quelles plantes cultivées; quelles techniques de cultures…) et d’autre part la gestion mentale (comment est compris, est perçu le monde végétal; comment est-il classifié; les attributs et usages magiques des plantes…).
(…)
Ce mémoire repose sur un travail de terrain qui eu lieu à Djanet tout au long du mois d’avril 93. L’information a été recueillie par observations et entretiens.
Gestion pratique du matériel biologique
Le jardin de l’oasis peut se définir comme une exploitation de polyculture intensive. Ce qui nous a permis d’affirmer que l’oasis est artificielle est que quasiment toutes les plantes présentes sont utiles et cultivées (sauf les mauvaises herbes adventices). Plus encore, si l’homme n’était pas intervenu, le désert serait resté désert; c’est en effet toute la structure d’accueil des cultures qui a été crée. La surface cultivée de l’oasis est morcelée en de très nombreux jardins bien séparés de celui du voisin par une palissade de branches enchevêtrées.
On imagine volontiers combien l’eau peut être un facteur déterminant. Elle est fournie par des puits que chaque jardin possède. De là démarre tout un réseau de canaux d’irrigation qui rejoignent les parcelles ou carrés de culture. En effet toutes les cultures de plantes herbacées sont organisées au sein de parcelles de terre aux bords relevés. Cette disposition autorise une irrigation différentielle selon les plantes, et selon zones cultivées et zones en jachère. Lors de l’irrigation la parcelle est inondée, l’eau s’y maintient grâce aux rebords de terre. Si le dessin complexe que forment les canaux varie de jardin en jardin, la technique de distribution de l’eau demeure la même d’un exploitant à l’autre.
On observe assez aisément l’étagement de la végétation dans l’oasis en trois strates: la strate herbacée au sol est essentiellement composées de plantes céréalières et potagères, on relève ainsi la culture de blé, d’orge, de fèves, de carotte, de salade, d’oignon, d’arachide, mais aussi du fourrage (luzerne). Une strate d’arbres fruitiers vient ombrager la précédente. Parmi les essences les plus courantes, on note le grenadier, le pêcher, l’abricotier, l’oranger. Il n’y a donc pas dans le jardin de zone fruitière distincte des cultures au sol. La strate dominante est formée des palmiers dattiers. Cette disposition crée ce que l’on appelle « l’effet oasis » caractérisé par une diminution de l’influence du vent et de la température et de l’ensoleillement et une hygrométrie plus élevée.
Cet aménagement du jardin n’entraîne pas l’approbation de tous les agronomes européens. Il est vrai qu’il ne répond pas toujours d’un impératif purement fonctionnel mais c’est sans doute aussi qu’il dépend d’une autre logique que celle de l’agriculture européenne. Ainsi à titre d’exemple peut-on aborder le cas des « mauvaises herbes », plantes adventices des jardins. Celles-ci « devraient » être systématiquement arrachées, d’autant quand la terre souffre d’une insuffisance en ressource aqueuse. En effet, ces herbacées risqueraient de détourner de l’eau qui est réservée aux plantes cultivées. Mais si l’on change de référentiel, on peut considérer la chose autrement: l’alimentation des animaux d’élevage (chèvres, moutons, ânes) demeure un problème en pays désertique. De grandes surfaces leur sont consacrées dans les jardins via la culture de la luzerne; mais si d’autres plantes veulent bien pousser, sans que l’on leur consacre ni temps, ni travail, ni surface, alors elles seront les bienvenues et ne seront plus systématiquement arrachées dès leur apparition. En retour les excréments animaux viennent fertiliser les sols. A cet égard, ceux-ci sont utilisés de manière plus ou moins magique par le jardinier: les excréments de dromadaire posés au pied d’un arbre sont sensés accroître la pousse des racines, et ceux d’ânes posés sur les branches, accroître la pousse de celles-ci.
En regard des entraves que dresse la nature (température, sécheresse, vent…), la biomasse et la biodiversité des jardins semble paradoxalement très forte. Le « roi » de l’oasis demeure le palmier dattier. En sus de la consommation de la datte qui se mange si l’on peut dire, à toutes les sauces, le dattier est utilisé comme matière première de nombreux ouvrages (ustensile de cuisines, poutres, jouets) et comme « bois » de feu. On peut dénombrer au moins 8 variétés du Phœnix dactylifera à Djanet dont les trois plus courantes sont Tanriman’, Tèt’mèlèt’ et In’takouss.
L’inventaire (sans doute non exhaustif) des plantes cultivées dans les jardins donne les chiffres de 22 ligneux dont 13 fruitiers, de 4 céréales, et de 21 plantes fourragères et potagères soit un total de 48 espèces (avec le palmier dattier) sans compter les plantes hors oasis qui peuvent être aussi qualitativement très importante et je pense là, à l’armoise. L’époque de production et/ou de récolte de ces plantes cultivées s’échelonne sur toute l’année, mais les techniques d’assolement, semble-t-il, restent propres à chaque propriétaire.
Le jardinier (ou la jardinière) accompagné parfois des enfants, ne travaille jamais avec l’assistance d’animaux de trait par exemple, tout simplement parce que la dimension des parcelles ne le permettrait pas. Mises à part les mains, les principaux outils sont invariablement les deux mêmes d’un jardin à l’autre: une petite faucille dentée (assarrs’) et la houe (tamigrrest’). Le jardin n’est pas seulement le lieu des travaux agraires; l’on y fait sécher les peaux, on y répare le ten’dé (un mortier utilisé aussi comme instrument de musique), etc.
Gestion mentale du matériel biologique
L’environnement imaginaire dans lequel hommes, plantes et animaux sont appelés à vivre à Djanet n’est pas toujours très simple à gérer. Une première difficulté réside dans ce que l’on appelle communément le mauvais œil. Cette croyance selon laquelle un bien ou une personne puisse attirer l’envie ou la jalousie (même involontaire) et que cela puisse porter préjudice à ce bien ou à cette personne est conjurée par l’utilisation de Tira ou amulettes pour les hommes et les animaux (moutons, dromadaire) et d’éléments extra-ordinaires (sensu stricto) pour les plantes (crânes animaux, cuvette de WC…).
La présence d’esprits dont il faut se concilier la bienveillance n’en est pas moins complexe. Ces kel éssouf, transposition sans doute plus ou moins déformée des djénoun musulmans, peuvent être présents dans la plupart des êtres vivants et notamment les plantes du désert: il devient alors fort hasardeux d’entreprendre la coupe d’arbres du désert car il y a risque de blesser un de ces esprits. La réparation de la faute sera obtenue par le sacrifice d’un animal domestique.
Non seulement les Kel Djanet sont tenus de porter attention à l’action de l’homme et des esprit mais aussi à ses relations aux plantes. Celles-ci ne sont pas passives et ne se laissent pas cultiver aisément. Ne supportant pas la présence de l’homme qui est trahi par son odeur, il faut recourir au subterfuge de l’armoise, plante aromatique poussant en abondance dans le lit d’oued, qui placée sur les branches d’un arbre fruitier camoufle de son odeur celle de l’homme; sans cela l’arbre ne fructifierait pas. Ce dédain des arbres fruitiers à l’égard de l’homme trouve une explication partielle pour ce qui est du palmier dattier puisqu’une légende raconte que c’est à des enfants touareg que l’on doit la découverte des valeurs culinaires de cette plante qui vivait jusqu’alors de manière sauvage (selon la légende).
La dualité du désert et de l’oasis qui peut paraître compréhensible semble être visible à différents degrés. On peut ainsi dégager des couples d’oppositions.
(…)
lieu désert. —> lieu oasis.
plantes non-cultivées. —> plantes cultivées.
plantes sauvages. —> Plantes domestiqu(é)es.
végétaux (et animaux) potentiellement dangereux (kel éssouf). —> végétaux (et animaux) potentiellement en danger (mauvais œil) + animaux potentiellement réparateurs.
domaine kel éssouf. —> domaine homme (mauvais oeil).
Et passer une plante du premier domaine au second n’est pas sans difficultés comme nous avons pu le voir.
On peut se demander judicieusement pourquoi dans une oasis où les conditions ne se présentent déjà très favorables à la culture et à l’élevage, viennent se superposer ces problèmes de « kel éssouf », de « mauvais œil », « d’odeur de l’homme ». Il est peut être possible d’avancer l’idée que cette gestion mentale du matériel biologique ne constitue pas réellement une embûche supplémentaire, mais peut expliquer la difficulté de culture et d’élevage, ce serait alors une forme de gestion de l’incertitude, une gestion du danger.
Conclusion.
Étudier les rapport qui unissent une société donnée à son environnement amène à l’élaboration d’un ethno-écosystème défini ainsi:
« Un ethnoécosystème est l’ensemble des élément d’un milieu (…) où l’homme vit et au travers duquel il établit des relations intuitives et cognitives avec chacun de ces éléments » (Pujol, 1975, p. 111). Cet ethno-écosystème, simplifié et inachevé peut se résumer pour l’instant par la figure nº9 de la page 71 du mémoire reprise page suivante.
En guise de conclusion, je pense qu’il est bon de souligner, qu’au cours de la thèse qui devrait suivre, qu’une recherche approfondie sur ce même terrain aura lieu avec introduction de nouveaux outils tel que le différenciateur sémantique et la méthode du « slip sorting technic » afin d’apprécier respectivement la valeur de certains mots et le système de classification des êtres vivant en vigueur, notamment des plantes. Je pense aussi introduire un terme de comparaison par l’étude plus superficielle d’autres oasis selon une méthodologie qui reste à être définie.