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Dans la nuit, monter au nord

Vincent Battesti

 15 octobre 2005. Syrie, Damas – Palmyre (Tadmor).
Je prends assez tard la route, mais je la prends. Il le fallait, je me l’étais dit et nous sommes déjà le 15 octobre. Si, dans un premier temps, j’avais prédit un mois de trajet jusqu’à Paris (avant d’annoncer au hasard un mois et demi), j’en serais à la moitié et toujours à Damas. Il ne faut pas que je tarde trop non plus. Je n’ai pas tout vu à Damas et pas vu même mon ancien collègue BD, mais tant pis, une prochaine fois.

Je remonte un peu au nord, jusqu’à Ma’aloula, village accroché à ses falaises, ses jardins en contrebas. Les spécificités des lieux sont les monastères et la langue qui y est parlé, l’araméen, la langue dans laquelle s’exprimait Jésus. En discutant avec des épiciers, c’est aussi l’un des caractéristiques premières qu’il me donne du village : une langue qu’il dise un dialecte, proche de l’arabe, et partagé uniquement entre trois villages voisins. L’autre caractéristique est le bâti, en grosse pierre, « qui gardent la chaleur en hiver et restent froides en été ».
+ « Et bien, pourquoi ne construisez plus comme ça aujourd’hui si c’est mieux ? »
+ « Avec le ciment, c’est plus rapide, et plus c’est une question d’espace, les murs de 75 cm étaient si gros qu’on n’avait pas de place dans les pièces… »

Le monastère Saint-Serge et Bacchus et son église (grec catholique), tout en haut de la falaise dominant le village, semblent très anciens (IIIe s.). Il y a de jolies icônes dorées, et un curieux autel : une table sacrificielle (une dalle à rebord). À part ça, l’unique moine, Libanais, est jovial et ses grenouilles de bénitier font la gueule. Plus bas, le monastère Saint-Thècle (grec orthodoxe) est plus banal, sinon son espèce de grotte à l’eau suintante et promue « sacrée ». Des femmes viennent faire des offrandes à la divinité, et les murs de la petite chapelle sont pleine d’ex voto.

Le village est agréable, sans plus. Joli, sans plus. J’hésite : je reste ici pour la nuit ou je repars… mais pour dans quelle direction ? Homs ou Palmyre ? Je n’ai presque plus d’essence. J’avais fait un plein à Nuweiba, un autre à la frontière en allant à Beyrouth. Le Liban donne soif, et je dois acheter trois petits jerricanes de 5 litres d’essence à Elias Abou K., le pompiste sans pompe du village. Curieusement, son essence est presque deux fois moins chère que dans les stations… Je ne comprends pas de quelle contrebande cela peut venir.

À force d’hésitations, il est tard quand je décide de retourner sur mes pas quelques kilomètres pour reprendre la route de Palmyre. Sur mon unique carte (du Moyen-Orient), la moitié est indiquée comme une piste. Ma carte n’est pas à jour et un chauffeur m’a assuré qu’elle était parfaite. Le temps de me faire contrôler par des flics (« c’est quoi dans ce carton ? quoi comme verre ? du cristal ? ») que je m’engage pour 220 km de route presque droite dans le désert, avec d’abord (et trop vite) un coucher de soleil derrière moi, puis la presque pleine lune, un peu cabossée encore, qui m’éblouit la nuit venue. La lune éclaire un drôle de paysage désertique et laiteux, mon lecteur de CD est empoussiéré (je le nettoierai à Palmyre), il n’y a plus de FM, ça roule, tout droit avec des courbes, 120 km/h et presque personne. Juste mes phares de voitures et mes pensées qui s’éclairent. Écrire mes notes de voyage. Étrange littérature autocensurée, mais où des gens rajoutent des lignes de commentaires. Ce n’est pas du tout une sensation d’accompagnement, mais que ma prose est validée temporellement illico, tout de suite inscrite, par des lecteurs au-dessus de mon épaule. La route est noire, le paysage laiteux, je laisse sur ma droite le panneau « Baghdad 150 km ».

 La suite par ici…

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Vincent Battesti , "Dans la nuit, monter au nord " (en ligne), Anthropoasis | vbat.org, page publiée le 15 octobre 2005 (visitée le 20 avril 2024), disponible sur: https://vbat.org/article222