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Étage des pommiers.

Vincent Battesti

 12 octobre 2005. Liban nord. Après-midi.
Et bien, là ça monte, ça monte, ça monte…
Si au Liban sud, je trouvais partout des bananeraies, ici on est dans l’olivier. Beaucoup d’oliviers. Mais pas pour très longtemps. Le temps de m’arrêter trois ou quatre fois parce que ma voiture a trop chaud quand elle grimpe, je suis à l’étage des pommiers. Beaucoup de pommiers. Je quitte l’étage du ramadan, chaud, de vieilles villes multicouches portuaires méditerranéennes pour l’étage des vergers de pommes rouges, de vieux sur leur banc en bord de route à regarder les autos passer, des églises, des chapelles, des petits sanctuaires dédiés au Christ, à Sainte Marie, à droite, à gauche, à droite, à gauche…

La voiture continue d’avoir chaud et à Ehden, le gros voyant STOP m’ordonne impérativement une pause. Je m’engage sur la première rue sur ma droite, curieusement mieux goudronnée que la route principale. C’est un cul-de-sac. À peine le frein à main tiré, quelqu’un me rejoint en courant. Vu ma plaque d’immatriculation Malaky Al-Qahira (privé Le Caire), l’homme s’adresse à moi en égyptien, comme d’habitude. Je lui explique ma situation, non, je ne peux pas repartir tout de suite, dans cinq minutes ? et au fait, pourquoi dois-je repartir ? Comment ça la maison du président ? Toute la rue ? « Non, juste la grande maison au bout, ma villa à gauche, c’est celle de sa fille, et là, de son fils, et il a un autre fils qui est mort en 1973, et… » Finalement, après le panorama historique de la famille présidentielle, ma voiture est froide, je repars.

Le paysage est splendide. Je ne sais pas à quelle altitude je suis, mais haut, c’est sûr. Des vallées en dessous de moi, des montagnes pelées ou de pins. L’air est frais, un frais agréable et tonifié encore par l’arôme des pinèdes, des herbes alpines… Plus je monte, plus ma voiture semble heureuse. Qu’à cela ne tienne, je monte encore. Bcharrié, puis le haut de la vallée de Qadisha. Je croise d’abord de l’au qui suinte des pentes, puis vraiment de l’eau et même une cascade. Je veux bien croire le gardien présidentiel : « du liquide refroidissant pour votre voiture ici ? Non, c’est le contraire, on peut trouver du liquide antigel, dans deux mois ce n’est plus que de la neige ici… ! ». Les nuages sont déjà là, à coiffer le plus haut sommet du Liban. Je vais me répéter, je sais, mais j’ai l’impression de rouler en Corse : ce n’est pas qu’une question de virages en épingle, ni de vieux sur leur banc, mais d’attitude générale. Je n’ai pas trop envie de pousser l’analyse, c’est un sentiment, mais fort. Même les jeunes femmes maronites me semblent venir des villages de Castagniccia… Je m’y sens à l’aise. Par contre, ce qu’il n’y a pas en Corse, c’est le cèdre du Liban, évidemment. Il fallait que je le vois cet azr, et je l’ai vu. Ce n’est pas un arbre anodin, c’est certain. Son allure, sa rareté, son port, sa couleur sombre, sa hauteur ? un peu tout.

À la redescente de l’autre côté de la vallée de Qadisha, je ne trouve pas l’embranchement de Tannourine (je me suis fait encore avoir par l’échelle de la carte), mais c’est tant mieux : je me serais trouvé en pleine montagne la nuit tombée. Routes dangereuses… la vie peut être précaire par ici. La preuve : je viens d’apprendre que le ministre de l’intérieur syrien se serait « suicidé ».

 La suite par ici…

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Dernière mise à jour de cette page le vendredi 5 février 2010 à 13:52:44. //// -----> Citer cette page?
Vincent Battesti , "Étage des pommiers. " (en ligne), Anthropoasis | vbat.org, page publiée le 12 octobre 2005 (visitée le 25 avril 2024), disponible sur: https://vbat.org/article219