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par Vincent Battesti

Colloque international « Mer et désert de l’Antiquité à nos jours : visions croisées »
« Sea and Desert from Antiquity to the Modern Era : Intersecting Perspectives »
Université de Limoges, 7-9 novembre 2013

 Les possibilités d’une île : insularités oasiennes au Sahara
(Donne matière à une publication en cours : Les possibilités d’une île : Insularités oasiennes au Sahara et genèse des oasis)

 Résumé proposé

Si l’on donne au terme « île » l’acception d’un espace de terre émergée entouré d’eau de tous côtés, il est étrange d’aborder ici les objets oasiens ; les oasis sont précisément l’inverse, de l’eau entourée de terres arides. La présence d’eau est indispensable à faire une oasis, elle n’est cependant pas suffisante, il faut également des hommes organisés en société, munis d’un savoir-faire, pour en assurer l’organisation, la répartition et l’usage, en particulier agricole.
Alors, pourquoi parler d’île ? Une acception étymologique en est le latin insula, qui renvoie à une situation d’isolement. La pertinence à penser les oasis comme des îles tient à ce qu’elles sont le lieu des établissements humains et maillent le désert comme les îles le territoire maritime. On pourra comparer les cartes des réseaux de transports sahariens aux cartes des routes maritimes : toujours avec le moins de détours possibles, ce sont des trajets qui lient un point à un autre. Entre, des étendues vides ou presque, des horizons qui n’ont pour vocation, pour les hommes, que d’être traversés.
L’imagerie coloniale a très tôt usé de ce motif au désert : ports, mer de sable et vaisseaux du désert. Cela dit, la littérature arabe abuse aussi largement de cette métaphore maritime.

Qu’implique cette condition insulaire ? une possibilité : d’être un nœud de réseau.
Une partie des oasis se sont épanouies en favorisant les relations caravanières entre les rives nord-sud et est-ouest du Sahara. Elles sont situées sur les routes transsahariennes largement exploitées au Moyen Âge, mais en place depuis l’Antiquité, notamment pour le commerce de l’or, du sel, des esclaves, des dattes et autres denrées, par les pèlerins et voyageurs aussi, entre les rives du Sahara, du Maghreb aux empires subsahariens, du Maroc à l’Égypte. En tant qu’escales, les oasis assuraient le ravitaillement des caravanes, et celles-ci assuraient celui des oasis, en biens (l’arrivée des caravanes était toujours l’occasion d’un marché), en nouvelles, en idées (de nombreuses oasis hébergeaient des écoles), en langues aussi (avec des contacts linguistiques entre berbère, arabe et langues subsahariennes). L’oasis exportait une partie de sa production (dattes, céréales, etc.) : une articulation essentielle de son économie. Le commerce transsaharien a périclité aux XVIe et XVIIe siècles (concurrence maritime), mais les caravanes n’ont disparu qu’avec l’avènement du camion au XXe siècle. C’est parce que les armées coloniales ont découvert les oasis à un moment où avait largement diminué ce commerce transsaharien qu’on a sous-estimé leurs ancrages dans des réseaux, qu’ont a surestimé leur autarcie.

La possibilité d’une île est d’être un nœud des réseaux qui enlacent les immensités « désolées ». « Désolées », car c’est en effet ainsi que les oasiens perçoivent ces espaces, contrairement à ce qu’on leur prête habituellement d’amour du désert. L’interdépendance entre ces nœuds et le réseau est fonctionnelle, elle est également de nature essentielle : l’existence des oasis tient à leur articulation aussi avec l’activité agricole, donc avec les espaces d’agriculture irriguée. L’agrosystème oasien doit être compris comme une bulle anthropique, certes ingénieuse mais artificielle, dont tous les éléments, tout le matériel végétal a été importé. Par ce même réseau.

La fonction insulaire potentielle demeure (inscrite dans leur géographie ?) pour les oasis, même si les pistes sahariennes s’effacent en partie : ils suffit de situations particulières peut les réactiver. L’instabilité des pouvoirs centraux a récemment favorisé, au XXIe siècle, une reprise des activités sur ces trajets entre ces anciens ports caravaniers. La contrebande de biens et le trafic humain, du Maroc à l’Égypte, du Soudan à la Libye ou du Sénégal au Maroc, et cela a particulièrement été visible à Siwa (Égypte, près de la frontière libyenne) avec les crises politiques égyptienne et libyenne de ces derniers mois.

Le Sahara au cœur des échanges africains du VIIIe au XVIe s.
Source : Histoire de l’Afrique ancienne (Auteurs : Pierre Boilley, Jean-Pierre Chrétien)
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