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par Vincent Battesti, Safa Dahab

- Vincent Battesti et Safa Dahab (2011), Prélude : conversation dans un taxi du Caire,
in Battesti Vincent et Ireton François (dirs), L’Égypte au présent, Inventaire d’une société avant révolution, Paris, Éditions Sindbad - Actes-Sud, coll. La Bibliothèque arabe, p. 15-28
ISBN 978-2-7427-9780-6
Fichier pdf : https://hal.science/hal-00954280

 Voir cet ouvrage L’Égypte au présent, Inventaire d’une société avant révolution.

 Résumé :
Ceci est la traduction et la transcription (avec la collaboration de Safa Dahab) d’une discussion enregistrée de façon impromptue dans un taxi du Caire, le 15 février 2007. J’étais sur la banquette arrière d’un spécimen décati de la flotte indéfinie des taxis noir et blanc de la capitale. Le taxi a pris un autre client, comme cela se fait souvent, qui est monté à l’avant. La conversation s’est engagée entre ce client et le chauffeur et dura dix minutes dans la rumeur habituelle des embouteillages.

Et toute la société égyptienne est passée en revue au cours de cette discussion entre inconnus...

Taxi au Suq al-Goma‘a, Cité des morts, Le Caire (V. Battesti, septembre 2003)
Compteur hors d’âge et d’usage, exemplaire du Coran et CD de metal.

 Les première lignes :

Le texte qui suit est la traduction et la transcription d’une discussion enregistrée de façon impromptue dans un taxi du Caire, le 15 février 2007. J’étais assis sur la banquette arrière d’un spécimen décati de la flotte indéfinie des taxis noir et blanc de la capitale. Le chauffeur a pris un autre client, comme cela se fait souvent, qui est monté à l’avant. La conversation s’est engagée entre les deux hommes et dura dix minutes, dans la rumeur habituelle des embouteillages.

Chauffeur du taxi
 :
La rue Qasr al-‘Ainy est toujours aussi terrible ! Franchement, quel embouteillage !

Client du taxi
 :
Quand tu fais le jeûne et que tu ne veux pas te casser la tête, oublie cette rue !

Chauffeur du taxi :
Oui, ça tape sur les nerfs.

Client du taxi :
Pas seulement, c’est une perte de temps !

Chauffeur du taxi
 :
[Bruit de Klaxon.] Qu’est-ce qu’il y a ? J’en sais rien.
Le mec, il sort du côté de Dar el-Hilal et il prend la rue du ministère comme si de rien n’était !
Salah Salem, monsieur ! la rue Salah Salem ! J’vous jure, autrefois j’avais peur de prendre cette rue. Quand un client me demandait Salah Salem, je lui disais : “Et tu me raccompagnes au retour, mon frère ?” J’en avais peur ! Et maintenant, c’est l’embouteillage à l’aller comme au retour !

Client du taxi :

_ Moi, je vais vous dire un truc encore plus incroyable : même l’autoroute d’Alexandrie est embouteillée !

Chauffeur du taxi :
Oui, je sais.

Client du taxi :
L’autoroute d’Alexandrie par le désert !

Chauffeur du taxi
 :
Et la route agricole aussi ! Moi je vous dis, je ne comprends pas cette histoire d’embouteillage. On nous dit qu’il y a beaucoup d’immigrés qui sont venus en Égypte. Comment des gens peuvent venir vivre dans un pays pareil ?

Client du taxi
 :
Moi, je te dis franchement qu’à cause de ces immigrés, Dieu va nous punir. Les gens en Irak étaient extrêmement hospitaliers avec les Égyptiens. Tu comprends ? L’Égyptien, là-bas, avait plus de droits que les citoyens irakiens eux-mêmes.

Chauffeur du taxi :

_ Ah ! Tu sais qu’il y a même une ‘izba [ferme] à Tantā qui s’appelle la ‘izba de Saddam Hussein ? Tu le savais ?

Client du taxi :
Non, je ne le savais pas...

Chauffeur du taxi
 :
J’ai vu ça à la télé la semaine dernière. Ils étaient en deuil pour la mort de Saddam Hussein.

Client du taxi
 :
Bref, ils étaient extrêmement hospitaliers avec les Égyptiens. Et quand les Irakiens sont venus ici en Égypte [à cause de la guerre], notre respectueux système [le gouvernement], “respectueux” n’est-ce pas, a refusé de leur accorder un droit de séjour de plus d’un an.

Chauffeur du taxi :
Bon.

Client du taxi :
Et pourquoi ? Comme ça !

Chauffeur du taxi :

_ Les Égyptiens sont allés en Irak, ils sont revenus avec de l’argent.

Client du taxi
 :
C’est ce que je vous dis : sans raison ! On ne sait plus quoi faire...

Chauffeur du taxi :
Ils n’y peuvent rien, note bien !

Client du taxi :
Qui “ils” ?

Chauffeur du taxi
 :
C’est les Nations unies, j’ te dis, qui leur ont ordonné [au gouvernement] !

Client du taxi :
Leur ont ordonné quoi ?

Chauffeur du taxi
 :
Les Nations unies ont ordonné de ne pas accorder aux immigrés un droit de séjour de plus d’un an pour qu’ils retournent rebâtir leur pays.

Client du taxi :
Rebâtir quoi ?

Chauffeur du taxi
 :
“Je suis libre et je suis content et je veux vivre ici ! Je ne veux plus retourner dans ce pays-là ! Je suis libre et je reste là où je veux !”

Client du taxi
 :
Mais c’est insensé. Il y a des gens qui partent, qui émigrent en Amérique, on ne leur demande rien, non ?

Chauffeur du taxi :
Non.

Client du taxi :

Donc, c’est insensé. Le cheikh d’al-Azhar, cette espèce de sale, de sale... un chien vaut mieux que lui !

Chauffeur du taxi :
Oui.

Client du taxi :
Il a dit quoi ? Il a dit, il y a deux jours, que la Palestine, Jérusalem, c’est aux Palestiniens seuls de les défendre, que ça ne nous regarde pas.

Chauffeur du taxi :
Comment ça ?

Client du taxi :
Le fils de...

Chauffeur du taxi
 :
Comment ose-t-il dire un truc pareil, musulmans et chrétiens défendent ensemble la Palestine !

_ C’est un âne, il travaille pour le gouvernement. Il n’a rien à voir avec la religion et la morale.

Client du taxi
 :
Demain, le fils de chien sera mort : qu’est-ce qu’il dira à Dieu ? que “Hosni Moubarak m’a dit de dire ça” ?
(…)

(Suite à lire sur le pdf)

Portfolio

Taxi au Suq al-Goma‘a, Cité des morts, Le Caire (V. Battesti, septembre 2003)