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par Vincent Battesti

Les échelles temporelles des oasis du Jérid tunisien
Anthropos, vol. 95, n°2, sept. 2000, p. 419-432.
ISSN : 0257-9774
Fichier pdf : https://hal.science/halshs-00004013

 Résumé :
Les oasis sahariennes : image du Paradis perdu ?
Les discours locaux autant que les analyses ethnologiques nous offrent une contradiction : une oasis immuable et un âge d’or. Une approche du temps local requiert que l’on précise les façons locales des sociétés de concevoir le temps (notamment à travers l’emploi de différents calendriers : musulman, grégorien, julien/berbère).
Comme les différentes conceptions de l’espace (et cela de façon singulièrement liée), les temporalités varient avec les types de relations à l’environnement auxquelles les communautés locales et les institutions souscrivent.

La « crise », terme si souvent utilisé dans les discours sur l’agriculture d’oasis par les jardiniers ou les agents du Développement, est un bon motif pour nous aider à saisir les implications des temporalités. Nous explorerons plus avant les sens du temps et nous aborderons avec la théorie hiérarchique la vie et la mort des jardins d’oasis.

Page de calendrier tunisien (du 17 avril 1999).
Ce calendrier est celui que l’on retrouve très couramment dans la région du Jérid. La première date en haut à gauche est selon le calendrier grégorien, la seconde en haut selon le calendrier musulman, et la troisème en bas à droite selon le calendrier julien (en bas à gauche sont les heures des cinq prières de la journée).
coll. Vincent Battesti

 Anthropos. International Review of Anthropology and Linguistics
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Les échelles temporelles des oasis du Jérid tunisien
Vincent Battesti, Les échelles temporelles des oasis du Jérid tunisien, Anthropos 95, sept. 2000, p. 419-432
Vincent Battesti

 Les premières lignes :

Les oasis sahariennes, négligeables tâches vertes sur le fond jaune désertique ? De nombreux voyageurs occidentaux ont cru y voir des établissements humains immémoriaux, reflets des temps bibliques. Qui viendrait troubler cette quiétude, cette atmosphère atemporelle de paradis ? Aujourd’hui, comme depuis longtemps, les nombreux acteurs de sa construction sont de sérieux candidats, volontaires ou non ; l’oasis comme un relais, comme un carrefour : le temps oasien est multiple.

Il est posé dans ce texte que le temps existe en soi, mais ce que les sociétés appréhendent comme « temps » n’est en fait que « temporalité ». La temporalité est le temps perçu, conçu, véçu et pratiqué. La temporalité est au temps ce que le lieu est à l’espace, ou encore ce que la nature est au milieu (Battesti 1998). Ainsi, en elle-même, ’’une temporalité n’a rien de temporel. C’est un mode de rangement pour lier les éléments« (Latour 1991 : 102). Tout comme les pratiques et les perceptions des milieux font des natures différentes, et cela de manière singulièrement liée, les temporalités diffèrent en particulier entre acteurs de l’oasis. Nous pourrons reprendre les trois paradigmes de la praxis oasienne que nous avons définis ailleurs (Battesti 1998, voir plus loin dans le texte également) et vérifier que leurs temporalités peuvent se distinguer. Celle qui nous intéresse au premier chef est la temporalité des oasiens de la région du Jérid, dans le Sud-Ouest tunisien, une temporalité que nous allons d’abord définir comme s’il existait une »norme".

Les temps vécus des Jéridi
Comment intègre-t-on le temps dans les oasis, comment le vit-on ? Ou, autrement dit, comment situe-t-on son action, sa praxis dans la dimension temporelle, et particulièrement au sein de la palmeraie ? Cela a-t-il à voir avec la religion, puisqu’une tradition orientaliste nous a enseigné les sociétés maghrébines comme des sociétés musulmanes, c’est-à-dire des sociétés monistes où règne le primat de la religion comme paradigme structurant et déterministe ? (…)