par Vincent Battesti

 12 novembre 2005. Saint Gallen – Lutry, près de Lausanne (Suisse).
« Descendez tout droit, vous tomberez sur le lac, Lutry est là. » Ah, demander son chemin en français… J’ai rendez-vous avec Patrick à l’hôtel du Rivage à 19h. J’ai un quart d’heure d’avance. Quelques clients, c’est très silencieux, peut-être aussi parce que mes oreilles sont encore bouchées de la descente. J’ai l’impression de n’avoir fait que monter et descendre depuis un mois et… douze jours.

Je lis un journal local, le Lausanne Cités, qui est confondant de… de quoi ? La une : « Nous pouvions croire que ce genre de violence était réservé à d’autres contrées », le vol à la portière. Pleine page intérieure, on conseille aux futurs agresseurs d’avant « se poser la question du respect que vous exigez, et définissez qui sont ceux qui le méritent le plus. » (sic ?) « Le résultat ? Une hanche ou un col du fémur cassés (…) [pour les victimes], une vie qui ne sera jamais plus comme avant… ou pire, une fin de vie qui ne sera jamais plus comme avant. »

En attendant, j’ai traversé ce gentil pays d’est en ouest.
Au départ de Saint Gallen, compteur à 90 512 km (il faut que je change l’huile) ; il est midi. Après un petit-déjeuner, Marianne est partie à Basel pour une conférence sur des centres d’art contemporain (suisses). Je commence par la campagne et les petites routes. C’est magnifique. La Suisse ressemble tellement à la Suisse que cela en est troublant. Du gazon partout sur les montagnes, qui entoure les chalets (évidemment avec géraniums en fleurs aux fenêtres), impeccablement tondu par les moutons et surtout les vaches grises ou brunes qui ont toutes leur cloche sonnante au cou, ambiance sonore assurée.

Ce n’est pas facile de s’y retrouver en Suisse avec une carte d’Europe. En arrivant en Suisse, de nuit, après de longs tunnels qui faisaient « vom-vom-vom-vom-vom… » hypnotique des néons souterrains, j’avais eu l’impression de descendre dans un pays caché (bien gardé aussi) au creux des montagnes. Et à l’intérieur des villages partout et surtout des toponymes partout sur les pancartes, dont qu’un centième à peine à peine a été retenu sur ma carte. Même petit ou parce que petit, il faudrait une carte de ce pays pour se déplacer en Helvétie. Sinon on se perd. Ce que j’ai fait.

Mais je suis quand même passé par cette route qu’on m’avait conseillée dans la campagne, qui mène à ce col, le Klausen-pass. C’est magnifique et si la voiture a un peu peiné peut-être pour atteindre ces 1958 mètres d’altitude, la vue était splendide, je savoure mes arrêts à répétition (pour prendre des photos qui ne donnent plus rien ces temps-ci) et la neige est presque atteinte. À vrai dire, sur une route autrichienne (ou italienne ? je ne me souviens plus), dans un vallon obscur j’ai déjà roulé sur la neige. C’est avec les paysages de Suisse et d’Autriche que je me rends compte du chemin parcouru depuis les déserts syriens ou le pont du ferry de Nuweiba-Aqaba où c’est l’ombre que je cherchais et non mes gants en angora.

Ensuite, je ne sais plus très bien quelle route j’ai prise : je me suis perdu sur les autoroutes suisses. Je passe dans l’aire des vaches cette fois-ci marron taché de blanc (ou l’inverse) et bientôt, la nuit tombée, au détour d’une montagne, dans l’aire francophone et non plus du bas alémanique. À vitesse de voiture, la rupture linguistique est radicale et si les étiquettes de produits commerciaux sont en trois langues, tout le reste ne semble qu’une mosaïque de langues qui s’ignorent entre elles.

Patrick arrive bientôt et m’emmène dans les ruelles en pentes raides de Lutry jusqu’à la maison, vue impeccable sur le lac Léman.

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