par Vincent Battesti

 6 novembre 2005. Crna Gora, Monténégro, Yougoslavie (Kotor) – Croatie (Dubrovnik).
Aujourd’hui direction Dubrovnik et essayer d’aller plus loin. Je me retourne sur Kotor que je quitte peut-être un peu vite. Belle Kotor et ses ruelles pavées et tortueuses. Je repasse devant le distributeur de billet avec un sourire : hier, j’arrivais trop tard pour les banques et je me demandais quel était le cours de l’euro dans la monnaie locale. Vu le prix affiché de l’essence dans les stations, je m’étais dit, allez, 6 FF. J’hésite et je tire au distributeur 50. Cinquante quoi ? un billet de 50 euros sort de la machine. Bah oui, il fallait y penser, l’euro est la monnaie. Je repasse sous la grande porte de la ville et les amarres des deux yachts sont à quelques pas. Kotor ressemble à une station balnéaire, ou plutôt dans un fjord méditerranéen balnéaire à une citadelle dont les remparts baignent dans des eaux de rivières.

Je prends la route un peu au hasard, celle qui passe au soleil. Elle fait le tour du fjord, bien plus grand que je ne pensais et orné d’une végétation de laurier (sauce), de cyprès (d’Italie), de fougères et de grenadiers. Deux minces filets de brumes sont stabilisés au-dessus des eaux, presque invisibles. Fenêtre ouverte, lunettes de soleil, l’heure est à David Guetta à fond sur la sono.

Baisse momentanée du son, je passe par les quais de Perast : petit bijou d’architecture. Des petites Venise et la comparaison à mon avis n’est pas idiote. Dans les eaux bleues se reflètent les palmiers dattiers d’ornementation et les pittosporums ne sont pas loin.

Contrôle de police. « China ? » Elle est pas mal celle-là, on ne me l’avait pas faite encore. Dimanche. Restaurant sur les bords du « lac », personne. La propriétaire, fausse blonde et vrai teint hâlé sur un maigre visage, son fils qui n’avait pas loin d’avoir son âge avec des allures d’ados branché, et un ami sur la terrasse, un peu au soleil. Lui, il ressemble à Karadzic qui tiendrait un peu de Patrick Sébastien, une longue chevelure grise et épaisse qui tombe sur le col de sa veste d’agent de sécurité bleu sombre. Il boit de longs traits de bière en fumant ses cigarettes Loveén. Il ne m’était pas sympathique, peut-être à cause de ses deux modèles, mais il me dit au revoir en partant, alors…
On ne dirait pas du tout un pays qui aurait été en guerre, mais juste un pays oublié.
Cela fait plusieurs fois que l’on me sert à côté de la viande des petits tas d’oignons coupés en dés et crus avec une tête de coriandre au sommet ; en fait de viande, un plat du coin proche du cordon-bleu.

Sur la route, souvent des panneaux avec le macaron européen, l’UE reconstruit. Elle fait au moins ça.

Douanes. Je les avais oubliés, j’avais oublié en fait que je devais changer de pays. « Pourquoi vous faites ça ? » (silence) « C’est à cause de la plaque en arabe ou… » « Yes. » J’étais entrain de me demander si je jouais la colère ou s’il valait mieux… Cling ! un verre bleu de Damas cassé. « Merde ! Take care ! I told you it’s fragile ! » De toutes les façons, il ne peut plus beaucoup se venger, ayant déjà éventré tous mes sacs. Je regrette un peu, mais je n’ai pas été très gentil avec le second douanier, celui en uniforme gris (et non pas bleu), courtois et qui parlait anglais. Il essayait un peu de rattraper l’autre en me distrayant des nouvelles françaises d’émeutes d’Arabes et d’Africains à Paris, mais le coup du couple flic gentil/flic méchant, on me l’a déjà trop fait dans les films américains. (Ok, je sais au moins qu’en Croatie pas d’euros mais des kuna). J’aurais presque pu choisir la frontière bosniaque plutôt que croate. Pas de chance. Même les pneus ont été sondés. (Proposer aux douanes en France d’avoir une table des correspondances des chiffres arabes/indiens. C’est idiot, j’aurais dû peindre des plaques en chiffres arabes, fausses pour fausses…)

Comme je suis en vacances, je décide de changer d’humeur et je crisse des pneus dans une descente pour prendre deux hommes qui font du stop. Ils ne vont pas très loin, mais « nos jambes sont fatiguées » ; ils sont en tout cas complètement bourrés et comme je perds trop de temps, je décline leur invitation cette fois à boire, et manger aussi.

Le littoral croate, sur des falaises de montagne, des cyprès d’Italie partout. C’est très joli et la mer, avec des vraies îles dedans, éclairée du soleil, est très grande très loin (même si je sais que l’Italie est finalement proche).

Dubrovnik. En jaune sur ma carte. Je ne sais pas de quelle publicité je tiens cela, mais s’associe la phrase débile (car ça se dit — et s’évente — de milliers d’endroits) « la perle de l’Adriatique ».
À l’approche, c’est vrai que c’est impressionnant. Une sorte de Rochelle à flanc de montagne, dans l’eau aussi. Grandiose dedans, parfaitement rénové (presque trop) avec des petites touches chic qui font penser qu’ont œuvré ici les mêmes décorateurs qu’à Kotor.

J’errais sans plan, dans une ville silencieuse, boutiques fermées, dimanche respecté, le peu de monde est hors saison ou à demeure, une troupe de nonnes au détour d’une porte des anciennes douanes portuaires. Aucune trace de la guerre, de la Dubrovnik à feu et à sang, au contraire on sent l’opulence. Tout est de pierre de taille, toitures de tuiles rouges, angelots sculptés sur les chapiteaux, lions pétrifiés sur les frontons. Je cherche éventuellement où dormir puis longeant le rempart sur la mer, une vieille grille ouverte dans le mur, quelques marches descendues : la mer. Une petite plateforme de béton incongrue, sur les rochers sous le rempart et au-dessus des eaux.rien à droite, rien à gauche, devant une île, une mer animée d’une lourde houle voluptueuse, à peine le bruit des vagues, le premier croissant de lune et son étoile du berger à son côté. En voisinage : un couple de Norvégiennes retraitées, un couple de femmes d’origine indéterminée et une jeune et bien charmante serveuse blonde. Et une discrète musique d’ascenseur, tout à fait utile.

C’est l’été par ici, mais il faut quand même que je trouve un lit. Ce sera une soba, une chambre chez l’habitant : pousser une porte dans une ruelle en escalier et derrière, surprise, une cour divisée en trois nivaux, un puits de 1780, et un appartement complet pour moi (à prix saison basse).

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