– 4 novembre 2005. FYROM / Macédoine (Ohrid) – Albanie (Librazhd).
Petit déjeuner au café avec un Macédonien déjanté de 45 ans, musulman, traumatisé de la guerre qui voit dans la rue des tortionnaires et qui émet d’innombrables références à la guerre ; il parle aussi aux étoiles, ses amies.
Ohrid, arrêt au hasard heureux. Un point sur la carte et dans le réel une carte postale aux falaises de montagnes dans l’eau, aux criques claires, aux rugueux des pins et à l’élancé des cyprès mitoyens de vieilles églises du IXe voire du IVe siècle, bleu brillant des eaux sous le soleil.
Je suis entré dans la zone des da, né et tchao (oui, non, salut), à écouter ma logeuse. Elle ne veut pas que je quitte sa ville sans aller voir l’église Sn Plausnik (Saint Clement et Pantaleimon). J’obtempère après un autre café. Helenia élève son enfant, son mari ne revient que deux fois pas mois de Skopje la capitale. Elle s’inquiète des résultats scolaires de sa fille, mais les années de guerre sont loin : plus de vrais soucis pour trouver à manger, habiller son enfant qui, même en temps de guerre, veut se conformer aux modes. Ce n’est plus la survie, mais pour cela elle a préféré ouvrir une petite épicerie plutôt que de travailler à plein temps « pour quelqu’un d’autre » et être payée 5 000 dinars (environ 500 FF).
Au compteur de la voiture : 88 620 km (exactement 6 000 km).
Un pneu à plat de ma voiture garée sur le port. Le garagiste n’a pas dit un mot en sortant le clou et est très bien équipé, professionnel. J’apprends qu’un rééquilibrage d’un pneu est une chose qui existe. Par ailleurs, la main-d’œuvre n’est pas chère. En discutant avec un ami du mécano, j’apprends qu’il y aurait de graves émeutes dans les banlieues parisiennes.
La frontière, après Struga : j’ai parlé trop vite. La douanière incapable de lire l’arabe de ma (fausse) carte grise tergiverse quelque peu. « C’est la première fois que je vois ça ! » Je sais, je sais… on me le dit à chaque fois. Ils se rassurent en me faisant traduire en aveugle les chiffres de la plaque et du châssis. Puis encore, on est soupçonneux avec les bagages, on éventre encore mes sacs de savons pour les renifler. Idem côté albanais, en un peu plus simple, mais avec une taxe de désinfection (contre quoi ? en tout cas c’est pour tout le monde).
Ok ? Ok. Je peux passer ? Et encore une barrière frontalière qui s’ouvre, après avoir tâté mes pare-chocs, portières, ailes, capot, pour être sûr, quand même.
Depuis mon départ d’Ohrid, je n’ai fait que tourner autour du lac et grimper à un col. Et là, stupéfiant, la vue est stupéfiante, sur le lac scintillant, 15h de l’après-midi mais 16h albanaises et le soleil déjà d’or. Puis, spectaculaire se découvre la vallée alluvionnaire, des champs bien alignés, parfaitement dessinés de mon altitude… le tout baignant dans une ambiance crépusculaire rurale. Au-dessus des montagnes, ce que je n’avais jamais vu, un arc-en-ciel sans arc, juste un épais trait vertical commençant à mi-hauteur de ciel et tombant droit, tout droit. La descente vers la vallée est vertigineuse et l’on y est accueilli par des dizaines de jets d’eaux jaillissantes des jeunes laveurs de voiture signalant leurs services.
Albanie. Ça sent tout de suite la pauvreté. Là non plus, je ne sais à quoi cela tient objectivement. Je négocie pour mon réservoir vide de l’essence en euros. Tout le long de la route, les gens marchent. Je dirais que c’est le pays des gens qui marchent. Pas pour se promener, pour aller. Je n’ai pas vu ça non plus ailleurs. Tout le monde, sur le bord de la route, sur le chemin de fer, ça marche. Moi, je descends encore, toujours, dans le creux d’une vallée étroite parcourue par un torrent.
Ma première ville albanaise, modeste : Librazhd. Changer de l’argent. Pour un euro, l’on a 110,0 leks (?), mais le banquier ne veut pas changer, car l’heure est passée de quelques minutes, 17h. Il m’emmène à cinquante mètres plus loin, avec son parfait costume cravate, voir un homme trapu qui semble attendre sur le trottoir et sort des liasses de billets et l’on fait un change au noir.
Quand plus loin je trouve une auberge, il fait presque nuit, tout le monde est plongé dans la pénombre et cinq femmes et deux marmitonnes me reçoivent. On part chercher une lycéenne pour traduire laborieusement de l’anglais. « Il n’y a pas d’électricité ici ? » « Si, mais seulement à partir de 5h du soir. » « Ah. » Et c’était vrai. Mais ça n’a duré que deux heures. J’étais regardé avec bienveillance, logé dans une chambre sur le torrent et bien nourri aussi. Je sais le truc qui cloche depuis la Grèce avec le vin : c’est qu’on me le sert au verre, certes, mais qui a la taille d’un demi de bière, plus que de quoi me saouler. Alors j’ai achevé ma précoce soirée à répondre aux questions incompréhensibles d’une bande de quatre gosses et finalement, à leur demande, à leur lire à la bougie des passages de L’idiot du voyage (que je reprenais par défaut) : spécialement les pages 93 et suivantes les faisaient bien rigoler. Et pas qu’un peu. Avant d’aller me coucher — et par ailleurs de m’être fait enfermé de l’extérieur, drôle d’impression —, je pensais à ces passages de frontières qui sont toujours de petits sauts dans l’inconnu, ce dernier étant le plus étrange. La Macédoine n’est pas riche, mais ici, entre mulets et les meutes de foin immenses, pas de problème pour se garer. Et comme toujours dans les pays pauvres, de splendides Mercedes dernier cri qui roulent dans la boue des chaussées défoncées. Je me rends compte que vraiment — et c’est idiot — je ne sais rien de ce pays, même pas une image mentale de Tirana sa capitale… on verra bien demain. Dehors, l’odeur est celle de l’humidité des rivières de montagne la nuit. Ça tombe bien.
Messages
Je t’offre les ’’Tambours de la pluie’’ de Kadaré pour ton anniversaire. Bises. Célame
Très bon article, je viens d’ailleur de le twitter, par contre c’est dommage que vous ne proposiez pas un bouton afin de référencer vos billets sur twitter.
Merci, mais, si, il y a, Twitter !
;-)
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