par Vincent Battesti

 25 octobre 2005. Turquie, Beyşehir. Matin.
Endormi dans une ville allemande de la savane, je me réveille au milieu d’un marché d’un bourg paysan de Normandie. J’ai logé au Park Oteli, hôtel de travailleurs de passage, notamment ces marchands qui ont monté de bonne heure leur étals.

Marché, gros marché, plein de femmes surtout, clientes et vendeuses, en particulier du côté des produits agricoles. Beaucoup de fringues, de tissus, mais surtout tous ces produits de la ferme, ces fromages par dizaines au kilo, ces fruits, ces légumes… je craque sur du miel vendu avec ses rayons et les abeilles qui tournent autour, sur les figues sèches que la dame avait dans son panier, les petits pains bretzel et, côté artisanat, même sur une faucille et plus loin un lot de cuillères en bois pour la soupe.

Fini les courses ? Pas tout à fait : je passe voir cette jolie mosquée (et les maisons anciennes à côté) et je tombe sur une bande de harpies tricoteuses. Elles semblaient inoffensives, vieilles, paisiblement assises, leur fichu sur la tête, les mains calleuses. Elles m’ont donné un sale mal de tête en se jetant d’un seul coup sur moi. Une seule avait repéré que je n’étais pas turc (au restau hier, le cuistot essayait de deviner : Afghan ? Iranien ?) ou du moins que j’étais un touriste (n’y en a-t-il jamais dans ce coin ?) et toutes ont rappliqué pour me couvrir de tout leur art tricoté à l’angora. Erreur : par ici, les femmes ne sont pas plus faciles que les hommes, et je me retrouve à avoir acheté gants, chaussettes, taille adulte et enfants… Une vraie mêlée (ce n’est que plus tard que je comprenais qu’elles utilisaient des mots d’allemand pour m’expliquer). Avec sa petit barbe et son petit chapeau sur la tête, il essayait de passer en douce, raté : les femmes appellent à la rescousse l’imam pour trancher dans un différent que nous avons. Je lui demande : Do you speak English ? — A little… — Arabic, ‘araby ? — A little… V’là que l’imam ne cause pas arabe… J’ai dû m’enfuir.

La campagne est très « paysanne » (si ça veut dire quelque chose). Soleil d’hiver, ciel bleu style grand froid, les moutons passent. Double café pour guérir mon mal de tête dans une station service : la première est trop locale, non (les hommes m’y feront comprendre leur jeûne de Ramazan par une bouche pincée et deux doigts passant sur les lèvres), la seconde avec son self servis vide, oui. Il y a deux représentants de commerce attablés et moi.

Direction : Isparta, puis la région de Pamukkale. À partir de Kireli, des tonnes de betteraves à sucre, encore. Je roule, le paysage change et se renouvelle. Des charrettes comme on n’en fait plus en Normandie. Je roule et dans le rétro volent les feuilles jaunes et rouges. Alignements de peupliers de long de la route, quelle beauté ! Fayrouz, la diva revendiquée des Syriens, joue ses ballades sur le poste.

Légère impression de descendre du Caucase vers un Italie méditerranéenne. Région des lacs. Bientôt, les immenses tas de betteraves sont remplacés par d’immenses tas de pommes. Mahmatlar. Ce lac-ci est émeraude et la route le surplombe, descend à son niveau, le surplombe… Deux kilos de pommes dans ma voiture, je me transforme en véritable épicerie voyageuse. Les gens sont gentils : idiot à écrire, mais ça tranche avec les manières égyptiennes, certes gentilles aussi, mais ici c’est de la cordialité.

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