par Vincent Battesti

 22 octobre 2005. Turquie (Görene).
Trois semaines déjà. Bon. Ça passe vite, quand même. Réveil dans une ville allemande. Qu’est-ce qui me donne ce curieux sentiment ? les rues ? les vitrines… ? Alexandrette ressemble à une ville allemande, à un Franckfurt F/Méditerranée.

Compteur au départ de Iskenderun : 85 420 km. Bientôt 3000 km de fait.

Je reprends la route après avoir trouvé du scotch pour mon rétroviseur droit. Je remonte d’abord au nord, entre la montagne et la mer et arrivé à Adana, ça tourne à l’ouest avec le littoral qui s’élargit. Les villes semblent essentiellement composées d’immeubles modernes, tous identiques sauf la couleur : toute la palette y est. Une sorte de socialisme rénové à l’énergie solaire (massivement sur les toits). Sur les montagnes au loin, on dirait… non !? de la neige ? Elle paraît irréelle, et pendant longtemps comme phosphorescente. De la neige… mais elle est encore loin, sur les sommets. Sur le bord de mer, je mets longtemps à m’en rendre compte, il manque une chose : ça n’a pas d’odeur marine, la mer est là, sans ses effluves.

À Tarsus, il faut monter dans la montagne. Je m’arrête pour interroger mes mauvaises cartes et par hasard devant une jandarma (gendarmerie) où l’on me dit de déguerpir, puis finalement on m’aide à m’y retrouver, très gentiment, à boire le thé aussi, et on me prodigue les conseils pour la route : ne pas s’arrêter prendre des auto-stoppeurs tant que je ne suis pas sur le plateau, ce sont des voleurs, spécialement les jeunes filles en jupe courte ou les hommes tatoués au teint sombre ! je ne les verrai pas ces détrousseurs de grands chemins.

Le paysage est sec et méditerranéen, puis en grimpant je traverse de grandes forêts de pins, mais bientôt, en atteignant le plateau, un paysage qui ne changera plus beaucoup : des collines pelées avec des vallées de peupliers au feuillage jaune et vert tendre qui semblent tenir lieu de coupe-vent au fruitiers des vergers. Cette production fruitière est confirmée par les nombreux étals sur le bord de la route, beaucoup de pommes, mais aussi maraîchère avec des choux, ma foi, qui ont dû connaître le nuage Tchernobyl vu leur taille exagérée (80 cm de diamètre !). Se met aussi en place le paysage humain, notamment des femmes qui commencent ici à porter de grands pantalons bouffant qui leur remontent haut sur le ventre presque jusqu’aux seins et dont l’entrejambe tombe presque jusqu’au sol. Les montagnes enneigées me semblent toujours phosphorescentes, les terres sèches aux courbes douces du plateau autour de moi, jaunes du chaume des blés coupés il y a longtemps, mais visiblement fertiles. Je suis heureux sur la route alors que j’en doutais sur le littoral. Le temps est frais et agréable, d’excellentes orchestrations turques sur la FM. 

Je craignais pour le radiateur de ma voiture qui me joue encore des tours : il semble que ce soit maintenant qu’un ventilo sur deux qui se déclenche. Je rentre dans de complexes équations : mon thermomètre du moteur agit comme un altimètre, quand la route monte, la température monte, mais, c’est nouveau, quand je ne roule plus assez vite, la température monte également (car l’air ne passe plus assez dans le radiateur) ; donc rouler vite, mais pas trop ? L’équation finalement se simplifie avec une autre donnée : en montant en altitude, l’air se rafraîchit sérieusement.

Un arrêt fatal dans un restau routier avec une sorte de ragoût de foie et du riz aux haricots blancs. C’est bon, mais funeste pour mon estomac. Tout change de la zone arabe à la turque : même ses bactéries. Je suis blindé contre les arabes, mais les turques ont raison — et je crois le choc thermique aidant — de mon système digestif. Tout va à vau l’eau et ma nuit sera terrible.

En attendant, je poursuis mon agréable promenade, m’arrêtant près des arracheurs et arracheuses de patates qui remplissent des dizaines de sacs qui parsèment les champs, dans les marchés de paysans qui ont tous des tracteurs Masey Ferguson (pour les connaisseurs), et l’on trouve ça et là d’énormes tas de courges jaunes éventrées et ce n’est qu’en trouvant des femmes assises au sol en train de les charcuter que je comprends que ce sont ces courges qui fournissent ces fameuses grosses graines blanches qu’on grille et sale pour l’apéritif.

Je commence à visiter également en arrivant dans la région : on ne peut pas se tromper. Où vais-je ? En Kapadokya (Cappadoce) et selon mon Lonely Planet (décidément je ne comprends pas comment il marche ce guide), Göreme est censé être ce que Dahab est au Sinaï, l’endroit où se rendre (et scotcher). J’ai reçu la veille un mél de François P. qui se rend d’Istanbul en Inde et il se trouve dans la région — il m’a semblé que c’était à Göreme qu’il était le plus vraisemblable de le trouver. Je me suis trompé de 3 km (il était à Uçhisar — il a un guide français). Ce n’est pas tout à fait Dahab, mais c’est touristique sans touriste (hors saison). Pourquoi se rend-on dans la région ? sa géologie. Dans le plateau ici largement érodé en larges vallées, des milliers de pitons calcaires, comme une forêt, aux formes qui varient selon les lieux. Des pitons coniques et creusés qui servent de maisons, des pitons plus fins, mais avec un chapeau ou des formes de phallus, de curieuses vagues de pierres… C’est joli.

J’arrive un peu tôt, trouve une pension et me promène surtout dans le village, je discute avec des femmes et jeunes filles qui travaillent sur le métier à tisser des tapis, — discussions plaisantes, elles flirtent pour s’amuser. On est en région paysanne, sur le plateau et le soleil se couchant les pitons s’illuminent d’orange. Mais le froid tombe, et je passe une nuit glaciale dans une chambre sans chauffage.

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