– 18 octobre 2005. Syrie, Hama – Alep.
Je ne quitte Hama pour Alep qu’à midi. Impossible de trouver un distributeur d’argent, pas plus un téléphone public qui fonctionne pour que je prévienne mon ami syrien à Alep de mon arrivée.
La route, de l’asphalte qui se déroule sous la voiture, et le glissement des paysages sur les vitres. Relier un autre point. Si je veux.
Étrange, encore des tentes de bédouins. Nous sommes plutôt en terres agricoles. Ils sont là, on les devine parfois en ville, femme ou homme, faisant des courses. Je les ai sur le bord de la route, ça et là, depuis Palmyre. Des tentes plus ou moins gourbi, et sans relation avec l’état de l’habitation, des antennes paraboliques plantées dans le sol et tournées vers les cieux, les bédouins sont toujours ouverts aux révélations célestes.
Sur la route, des keffieh rouges ou noirs sur des mobylettes et leurs sacoches rigides cousues dans du caoutchouc de pneu. Parfois la femme en amazone à l’arrière. Parfois un enfant dans les bras de la femme. Dans les petites villes, une belle préférence pour les triporteurs bricolés. À Palmyre, cette passion du trois roues semble si prenante que j’ai vu une voiture, on va dire normale, transformée en trois roues : carrosserie intacte (quoique se détachant par plaques), mais une seule roue centrale devant. Sur ma route pour l’instant dominent quand même les camionnettes, de melons, de cotons, de moutons, ça converge vers Alep.
Sur le bord de la route, à droite, à gauche, les calcaires blanc et les paysages de causses cèdent aux grandes terres de cultures, des vergers et des champs et toujours des terres aux fabuleux camaïeux. Ça semble exagéré. Le ciel est haut, de l’espace, gros nuages, du soleil et des minarets blancs.
Toujours la même serviabilité des Syriens que j’ai rencontrés : on m’accompagne jusqu’à la kulyat el-adab, la Faculté des lettres de l’Université d’Alep. Le portier de l’université me laisse passer : je veux voir le docteur Ghassan ? « Et qui êtes-vous ? », qui je suis ? « Oui, vous êtes docteur vous aussi ? » « Euh… oui. », « Bon, rentrez alors. » Pleins d’étudiants, évidemment. La grande majorité des filles, là aussi, est voilée, quelques munaqâbât également, dont le visage voilé de noir se tourne pour dévisager, si j’ose dire, l’étranger, je suis repéré, cheveux hirsutes. Quoique… cherchant le wakîl, le vice doyen, un ami que j’ai eu sous ma direction à l’université de Taez, sa secrétaire m’a jeté dehors comme un élève de première année.
Iftar chez cet ami et je découvre son appartement : je savais qu’il était parti s’exiler au Yémen (il l’avait vécu ainsi) quatre années durant pour aménager son intérieur, il avait déjà les murs. Sa lointaine promesse était une invitation sans condition à Alep, mais finalement ce n’est sans doute pas plus mal que j’ai à prendre une chambre d’hôtel. Gentille famille, les parents, deux garçons et une fille. Je n’ai vu que les mâles. Les femmes sont invisibles. Il semble que le petit dernier impose sa loi religieuse à la maison.
Soirée au café, discuter, des blagues, des hommes seulement… L’ambiance est agréable, malgré tout. Je découvre Alep par ses familiarités, par les réseaux de ses habitants.
Allez une blague syrienne qui m’a fait rire (par Samir) :
Le président Chirac vient rendre visite à notre président. Notre président lui fait visiter le pays et ils passent devant un cinéma, les jeunes sortent du cinéma. Le président Chirac demande « qu’est-ce que c’est ? » « Ça, c’est un cinéma ». Et il y a des jeunes qui pissent contre le mur à la sortie du cinéma. Le président Chirac s’écrie « Comment ! ils pissent contre le mur ! mais vous n’êtes pas un pays civilisé ! Jamais en France nous aurions la même chose, c’est impossible ! il n’y a pas d’éducation ici ! » et il continue comme ça. Notre président ne répond rien, mais il est très gêné. Bon, ça passe… C’est au tour de notre président de se rendre en France. Le président Chirac l’emmène au théâtre voir une grande pièce qui se joue à Paris. La pièce se termine et tout le monde sort et lorsque Chirac et notre président sont dehors, ils trouvent quelqu’un en train de pisser contre le mur. « Ah ! alors Chirac, tu nous fais un scandale dans notre pays pendant une demi-heure pour des jeunes qui pissent à la sortie du cinéma, et qu’est-ce que je vois en sortant du théâtre ? » s’écrit notre président. Chirac est très énervé et sort son pistolet et paf ! tire sur le type qui pisse contre le mur. Le lendemain, les journaux titrent en une : « L’ambassadeur syrien à Paris mort dans des circonstances non élucidées. »
Il faudrait que je demande à Iman de me rappeler ses blagues égyptiennes avec Moubarak… elles étaient pas mal aussi dans le genre.