– 14 octobre 2005. Liban (Beyrouth) – Syrie (Damas).
Dernier matin à Beyrouth. Quand reviendrais-je ? En poste, cela semble finalement très compromis. Café, je traîne, café, clopes sur le balcon, soleil, éclat blanc de la mer sur les murs, la ville, collines urbanisées. Je l’aime bien ce Beyrouth, ce Liban, mais je me suis entendu deux fois la renier dans la soirée (à Damas), deux fois dire ma petite déception : pas exactement le même émerveillement que ma découverte émerveillée, en octobre l’an dernier, d’une autre possibilité de ville arabe. Mais je pars satisfait sur une chose : j’ai mangé une noix confite, entièrement confite jusqu’à la coque. Je ne pensais pas cela possible.
Je suis parti, laissant ce drôle de mélange/non mélange beyrouthin et ses montagnards à gueule de chasseurs. Direction Damas again, je remonte que j’avais descendu, je redescend ce que j’avais monté. Sur le chemin de Dams, point d’éblouissement qui me fasse tomber de ma monture : cette fois le radiateur semble nettement mieux réglé.
Frontière libanaise, pas de problème. Frontière syrienne… yaany… Je pensais que mon absence de visa serait un problème : quinze jours s’achètent en quelques minutes et dizaines de dollars. Bon. La voiture, par contre…
Douanes, douanes, pas si long mais fatigant. Au moins on peut fumer : les douaniers fument et se font porter du thé pendant le ramadan (à Nuweiba en Égypte, autre ambiance, la seule chose de propre dans les bureaux étaient les reproductions made in China de calligraphies religieuses, « Allah est grand » etc.). Quelques bakshish obligatoires, et surtout (avec des douaniers différents) une négociation serrée : je suis passé de deux à dix jours autorisés sur le territoire pour ma voiture.
+ Mais vous m’avez donné 15 jours sans problème à la frontière au sud avec la Jordanie… !
+ Ah, mais c’est une autre frontière, ce n’est pas pareil !
+ Mais je suis la même personne avec la même voiture qui entre dans le même pays !
+ Oui, mais ce n’est pas la même frontière, ici, c’est avec le Liban ! (etc.)
Là, pour une fois, il a fallu que je joue un peu moins au gentil abruti que d’habitude avec les autorités (pourtant ma technique la plus efficace) et que je déploie quelque peu mon arabe. Les douaniers ne sont pas diplômés en langues et sans l’arabe je restais avec mon permis de deux jours.
Je suis ensuite à Damas très rapidement et je suis accueilli chez V. & J. par un « Vincent ! c’est Vincent ! » de la petite Carmen et un « Tu as une heure et dix minutes de retard » de Lou l’aînée. J’aime vraiment cette maison.
Promenade avec V. et les enfants dans la vieille ville. Je visite seul la mosquée de Omeyyades (les bureaux pour les tickets et le foulard pour les femmes est fermé). Immense cour pavée de marbre, cette mosquée est superbe et après l’iftar, la nuit tombée, elle est somptueusement éclairée. Ses décorations murales, d’or et de vert, gigantesques fresques paysagères — arbres (orangers ?) et palais — me donnent mal au cou. Cette cour est pleine de monde, des familles sont installées au sol partout pour pique-niquer, les enfants courent (pieds nus, bien sûr) comme dans une gigantesque salle de jeux, ça crie, c’est festif, ça discute, ça prie même… je suis ébahit, très agréablement. Il y a des réussites, comme ça.
Rencontre au hasard d’une expatriée (ambassade de France) qui nous invite à fièrement (et elle a raison) nous faire visiter la maison qu’elle a aménagée dans la vieille ville : maison arabe à étage, tournée sur sa cour avec, comme une évidence, sa fontaine. Le charme opère toujours.
Le même soir, invitation à dîner dans le Maadi damascène. La bourgeoisie francophone, importations, architectes, professions libérales, artistes, c’est démonstratif avec hospitalité. Sur la terrasse, près du petit jardin, j’ai très vite la tête qui tourne au gin tonic, le ventre qui explose de bonne cuisine, un régal avec mention spéciale aux ortolans, aux pâtisseries maison et aux grenades préparées avec du citron et de la menthe… j’ai très vite aussi la raison qui déborde de discussions qui disent une chose (hypothèse) puis une autre (autre hypothèse) sur les sujets politiques. Au moins aujourd’hui en parle-t-on (il ne reste plus que la Tunisie à être si muselée). On parle beaucoup de Ghazi Kanaan, le ministre de l’intérieur, qui vient de se « suicider » (guillemets de rigueur) dans son bureau de ministre, étrangement situé au souk des voleurs. Nous venions de passer devant quelques heures auparavant. Melhis, Mossad, Saoudiens, Français, Américains… « Pourquoi nous la Syrie aurions-nous tué Hariri, notre chien ? » « Kanaan est un alaouite, trop proche, il en savait trop » etc. Ce qui semble faire l’unanimité chez les Syriens, c’est que les Libanais forment un État immature qui a besoin d’un maître et bon débarras si ce sont maintenant les ambassadeurs français et américains qui s’en chargent. Entre nous, les Libanais le leur rendent bien en accusant les Syriens de tous les maux.
Je vais me coucher trop tard après avoir ingurgiter les 2h 30 d’un bon film d’Alejandro Rodriguez Iñarritu. L’air est agréable dehors, presque frais.