par Vincent Battesti

 8 octobre 2005. Syrie (Damas), Liban (Beyrouth).
Ma voiture a pris un peu la poussière, moins noire et collante qu’au Caire cela dit. Il semble que les douanes syriennes soient un peu tatillonnes en ce moment avec le Liban et ne laisse rien passer qui proviennent d’achats fait au Liban, je laisse à Damas quelques affaires qui pourraient éventuellement poser problèmes et je m’oblige donc à repasser au retour par Damas, avec plaisir. Réexamen de la politique commerciale : depuis que les Syriens se sont fait virer du Liban, ils font un peu la tête évidemment, mais c’est discret et le sujet d’attention semble le fameux rapport sur l’assassinat de Rafic Hariri. Certains prédisent même une fermeture des frontières quand sera publié le pré-rapport vers le 21 octobre. Il me faudra être rentré en Syrie pour cette date.

En attendant, je file en voiture vers le Liban. La frontière est vraiment tout près de Damas. Plaine de la Bekaa. Puis ça monte, il fait chaud, ça monte même dur pour ma Peugeot, elle chauffe encore et encore des arrêts en pleine côte pour la laisser refroidir. Douanes puis passeport pour sortir du territoire syrien. Je me rends compte que le démarcheur au Caire s’est trompé et m’a pris un visa syrien qui n’est pas multi-entrée, il me faudra refaire un visa au retour, si ça marche. Très long no man’s land (au point de me faire douter de l’existence d’un frontière libanaise), puis de nouveau douanes, enregistrement de ma voiture par les Libanais (c’est de plus en plus rapide, cela semble de moins en moins un problème de circuler avec une photocopie de carte grise, pourvu que ça dure) et puis visa. En grimpant les hautes altitudes de l’Anti-Liban, je rencontre mes premiers nuages. Je fais plus que les rencontrer, je suis dedans, ils circulent vite (et je vais bientôt voir que c’est une habitude libanaise générale) et le paysage montagneux devient d’un seul coup, en passant les crêtes, frais et éthéré. Je croise mes premières maison à toit (rouge) en pente, sans doute pour la neige. Et fièrement, partout, le drapeau au cèdre libanais.

C’est ensuite la longue descente vers Beyrouth, jusqu’au niveau de la mer. À mi-pente, je m’arrête voir le panorama : tout est urbanisé, cela en est impressionnant. Je reconnais Beyrouth de haut, je m’y suis rendu il y a un an, aussi pendant le Ramadan (pour un colloque à l’AUB). Ce qui avait perturbé mon petit frère au Liban il y a longtemps reste vrai : les voitures sont toutes des Mercedes, sinon des BMW, des 4x4 rutilants ou même des Porsche. Ma belle voiture égyptienne va commencer à faire misérable.

Nicolas et Joëlle m’attendent. Je trouve mon chemin dans les ruelles d’Ashrafieh sans trop de difficultés. À Beyrouth, c’est beaucoup construit sur les reliefs. À Ashrafieh, quartier chrétien (et assez francophone), j’ai l’impression d’être en Corse, balcon, store, pente, dégaine des habitants, crucifix, voitures…. À15h, je suis à destination. Fin d’après-midi sur la corniche de Beyrouth, avec ses air de promenade des Anglais et ses habituels joggers et pêcheurs à la ligne. Beyrouth. Au centre-ville, vraiment, un sentiment d’entre-deux, la Méditerranée (je suis sûr que je me répète, et ce n’est pas fini si je tourne autour d’elle encore plus d’un mois).

Café sur le bord de mer au coucher du soleil, une question d’Égyptien, tout de même : vraiment, comment peut-on laisser faire du café turc sans y mettre le sucre pendant (et non après) la cuisson ? Bon, tant pis pour le café masbut, un café wasat fera l’affaire…

Beyrouth me reste impressionnante. La rue Monot : ce n’est plus un café qui fait Marais parisien, mais une rue complète, en plus chic encore. Difficile de se garer entre les voitures de luxe. Ça consomme, restaurants aussi chers qu’en France, fringues D&G au minimum, chic. On trouve plus loin une brasserie. Ça porte le nom de café, mais c’est une brasserie : une grande salle pleine de tables et de monde, de clients bien installés qui sont venus jouer au backgammon, boire un verre ou manger, un joyeux mélange bruyant de jeunes et de vieux, de familles, d’amis, de couples. Toutes les femmes sont d’un chic scrupuleux, on devine aisément l’investissement énorme de temps et d’argent dans leur mise, un peu comme les femmes de Khartoum, mais en beaucoup plus affriolant (ou sensé l’être) : pas de tarha ou de hijab, ce n’est pas le lieu, on reste tout de même sur le territoire de la bourgeoisie. Cette vaste salle bien éclairée, chaude, est saturée des bruits de la clientèle, ça brasse, mais dieu sait comment, les gérants de la brasserie arriveront à y glisser encore, avec un effet de coin, un show d’un musicien dont le synthétiseur sur ampli fait tout un orchestre et lui joue du saxo ou chante par-dessus. Ça aurait pu être une bonne idée, ça ne l’est pas, ça ne chante pas juste les standards les plus éculés de la planète. Mais la salle semble à peu près apprécier ; pas nous, nous rentrons.

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