– 7 octobre 2005. Syrie, Damas.
Je traîne encore. Vraiment des vacances. Je fais des photos. Je me décide quand même à fixer mon départ pour le lendemain pour filer vers Beyrouth, à peine à quelques kilomètres de l’autre côté de la frontière montagneuse.
Je me promène encore, dans la vieille ville surtout. À part les circulations marchandes, la vie semble très centrée sur les intérieurs et les cours de maison. Il y a peu de cafés, peu d’espaces où se poser, c’est dense et en mobilité. Des marchés, un gigantesque souk.
Et je me promène...
Une chose manque pour ce premier séjour dans la capitale syrienne : voir la Ghouta, l’oasis de Damas. La visite est un peu tardive dans la journée. Ce n’est pas tout à fait une oasis, mais ce sont les jardins (basatin) de Damas, l’alimentant en produits maraîchers, céréales et fruits. C’est un immense jardin fruitier qui ombrage les cultures basses. Routes et sentiers étroits, on s’y perd. Des rigoles, ultimes dérivations des bras de la Barada, venue de l’Anti-Liban, parcourent, sinueuses, les vergers d’abricotiers. Mais point de palmiers, et ma catégorie oasienne s’en trouve malmenée. Pour une oasis dont même quelques Damascènes m’assuraient qu’elle n’existait plus, elle est impressionnante. Un berger vient à notre rencontre. « Non, moi je ne vous ai pas pris pour des voleurs, j’ai tout de suite reconnu que vous n’en étiez pas ! Venez manger avec moi… » Ah. C’est un Bédouin qui surveille son troupeau de moutons, 450 têtes dit-il, et qu’on a dérangé au moment de rompre le jeûne. Il nous offre le thé et la discussion. Il a un accord avec le propriétaire de ce bustan (jardin) pour y faire paître son troupeau tant qu’il n’y a pas de récoltes ou de semailles. Les animaux oscillent avec l’année entre le désert et la ghouta.
C’est amusant : ce premier pas débutant et trébuchant m’évoque tous mes autres premiers pas, toujours trébuchants, d’inauguration d’un nouveau terrain de recherche. Ces mêmes hésitations, incompréhensions, incohérences. Je n’ai aucune données sur la ghouta et je ne peux situer les réponses de mon interlocuteur, elles ne sont pas toujours « logiques », je m’emmêle les pinceaux avec mon dialecte égyptien à tenter de le « syrianiser »… oui, c’est surtout cela, je ne peux situer son discours dans un ensemble plus vaste d’autres discours et il m’est impossible de pondérer les informations de cette discussion. Par exemple, je ne comprends rien au calendrier de récolte ou de transhumance qu’il propose. En même temps, cela ne me surprend pas, car j’ai l’habitude des difficiles transpositions à un calendrier linéaire des pratiques paysannes qui, pour leurs acteurs, ne sont que des activités qui se succèdent, logiquement, au « moment où il faut ».
En rentrant, nous nous arrêtons voir des souffleurs de verre et je fais une razzia peu intelligente de verrerie qui m’obligera à ménager, les milliers de kilomètres restants jusqu’à Paris, ma voiture et les dos d’ânes et nids de poules à venir. Mais le travail du verre est plus joli qu’au Khan el-Khalili du Caire, alors… et cette collection hétéroclite de verres, formes et couleurs, me fascine. Instruments rudimentaires, technicité impressionnante du souffleur devant la bouche rouge ardent de son four, la nuit.