– 5 octobre. Syrie.
Entre mon arrivée nocturne et mes premiers pas dans la ville le lendemain, des images, des références me sont revenues. Je croyais ne rien savoir de Damas et finalement, des choses me reviennent, c’était une destination de transit, c’est en fait une ville et qui me semble tout de suite bonne à vivre. Se réveiller dans un palace y est sans doute aussi pour quelque chose.
Espèce d’évidence identique à l’effet du Caire sur moi il y a quelques années. Pourtant le cadre est très différent. La vieille ville de Damas n’est pas aussi déglinguée qu’au Caire (j’aime cette déglingue, ces aspects de décadence), presque un centre historique européen. On se perd dans les ruelles et les impasses comme à Venise, c’est beau, mignon, propre comme la médina de Tunis. Des ruelles couvertes par les avancées des maisons, des petits tunnels partout, de la pierre blanche et noire et des poutres de bois sombres, de grandes rues de marché couvertes de métal à quinze ou vingt mètres de hauteur…
Ça sent bon, les parfums mêlés des innombrables graines grillées, des épices, du café torréfié, du jasmin qui pousse ici et là… À côté de la vieille ville, la ville nouvelle, le centre-ville. Rues klaxonantes, pleines de monde mais presque vide et moins animées qu’au Caire aux heures de la nuit. Pas de tables de charité ou de restaurant pour le Ramadan, le mois de jeûne musulman s’y fait très discret. La ville est policée, propre quand on vient du Caire, plus calme. Les policiers essayent et réussissent vraiment pour beaucoup à conduire le flot piétonnier : on ne traverse pas au centre n’importe comment, il faut emprunter les passerelles aériennes plutôt que de couper à travers la chaussée. Ce succès sur les conduites urbaines m’étonne.
La vieille ville est belle et j’aime découvrir les villes avec les pieds. Damas, ville de passages, souk des voleurs (et le ministère de l’Intérieur à côté — ça ne s’invente pas), souk des ferblantiers, mosquée chiite dont les rues adjacentes regorgent de vieilles femmes chiites toute en noir : en groupe, des pèlerines qui trottinent dans les ruelles sombres et dévalisent les magasins de souvenirs (tapis de prière souvenir, tombeau d’Ali qui s’illumine à brancher sur le courant alternatif, etc.). De ruelles en ruelles, des cours de maisons se devinent derrière les portes et les grilles, fontaines et arbres, des fenêtres entr’ouvertes qui laissent voir les intérieurs, avec des portraits d’Hafez al-Assad aux murs. La mosquée des Omeyyades mérite le détour, empilement évident des cultes avec les vestiges du temple de Jupiter juste devant l’entrée de la moquée. Foules marchandes et religieuses… Quartiers chrétiens, un repasseur fume sa clope sur le pas-de-porte de son commerce (et j’ose m’en allumer une, en mois de Ramadan). Les hommes osent avoir les cheveux plus longs qu’en Égypte. Femme en hijab ou en cheveux partout dans la ville, ça se mêle, ça ne semble pas poser de problème. Portrait de Hafez ou son fils Bashar al-Assad, partout, toujours, on ne les oublie pas. Mais dès l’appel à la prière du maghreb, la rupture du jeûne, tous les rideaux métalliques des échoppes sont baissés, la nuit tombe à 18h, les ruelles sont désertées et j’erre seul dans ce dédale comme s’il était trois heures du matin, plus un bruit, plus une âme.