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par Vincent Battesti

 Les relations au désert des religions monothéistes, mémoire secondaire (DEA Sciences sociales), Paris, Université R. Descartes - Sorbonne (Paris V), UFR Sciences Sociales, septembre 1993, 43 p.
Format : 30 cm., bibl..

Mémoire de recherche dirigé par le Pr Philippe Laburthe-Tolra.
Diplôme d’études approfondies (DEA) de Sciences sociales, Cultures et comportements sociaux, option anthropologie.

 Lien vers le site web de l’Université Paris V, Faculté des sciences humaines et sociales.

 Résumé :
Cette étude propose d’explorer différents points de conjonction entre le désert et les religions monothéistes. Les textes fondant ces religions (Thora, Évangiles, Coran) fourniront un matériel de choix, mais aborder la réaction de l’homme face au désert aidera sans doute aussi à comprendre la place qu’occupe ce milieu minéral dans le contenu religieux.

L’examen peut être poussé plus loin : l’existence même de ces religions monothéistes n’est-elle pas due à la fréquentation des milieux désertiques ? Quoi qu’il en soit, des traces de sables se relèvent tout au long de leur histoire, qu’il s’agisse de retours réels au désert ou de l’utilisation du symbole à des fins mystiques.

 Voir aussi l’article Les relations au désert des religions monothéistes.

 Résumé, Texte de la soutenance orale du mémoire secondaire de DEA Sciences Sociales (Lundi 27 sept. 93) :


Les relations au désert des religions monothéistes

Nous nous sommes proposé dans cette étude d’explorer différents points de conjonction entre le désert et les religions monothéistes. Les textes fondants ces religions nous fourniront un matériel de choix pour aborder cette étude. Il sera possible de se demander si la fréquentation du désert par l’homme ou le groupe peut expliquer pour une part cette originalité d’un Dieu unique et l’aspect historique de ces religions.
Quoi qu’il en soit, on peut relever des traces de sable tout au long de l’histoire de ces religions, qu’il s’agisse de retour au désert ou de l’utilisation de son symbolisme à des fins mystiques.
Le désert qui nous concerne est le désert chaud et aride, en l’occurrence celui du Sinaï, le Syro-arabe, le Négueb ou de Juda.
Le monothéisme dans nos propos est celui du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam.

Représentation du désert dans les Écritures et le Coran.

 Le désert dans l’Ancien Testament.

Le symbole du désert est l’un des plus fertiles de la Bible. Dans l’Ancien Testament, il n’y est jamais évoqué pour lui-même mais toujours comme le théâtre des relations de Dieu et de son peuple.
Le désert est avant tout le lieu de l’Exode du peuple d’Israël, d’Égypte vers la Terre promise. Yahvé met à l’épreuve, humilie son peuple mais se révèle à lui de manière irrévocable. Dieu y renouvelle et confirme l’Alliance passée avec Abraham par celle conclue avec Moïse au Sinaï.
Il semblerait que le prophétisme post-Exode ait tendance à relever et retenir le caractère hautement exemplaire de l’histoire d’Israël au désert, quitte à passer sous silence les éléments un peu moins positifs (infidélités répétées, idolâtrie du veau d’or...). C’est ainsi que s’amorce un processus « d’eschatolisation » du désert et de l’Exode en général. On idéalise cette période et on la projette dans le futur comme annonciatrice de la fin des temps. Ainsi le Messie devrait venir lui aussi du désert. Mais pour d’autres exégètes le désert demeure une punition, s’appuyant sur des versets tels que Dt (8,15) « lui (Dieu) qui t’a fait passer à travers ce désert grand et redoutable, pays des serpents brûlants, des scorpions et de la soif (...) ». Cette ambivalence du symbole désertique, d’un côté lieu de la proximité divine et de la révélation d’un Dieu unique, et d’un autre côté lieu de l’Épreuve, ponctue les Écritures.

 Le désert dans le Nouveau Testament.

Alors que la présence dans le désert dans l’Ancien Testament n’est entendue que comme celle des masses, le Nouveau Testament se fera l’écho d’initiatives individuelles, telles celles de saint Jean-Baptiste et de Jésus de Nazareth. Mais l’allusion au désert recouvre globalement les mêmes thèmes que ceux de l’Ancien Testament. Ainsi, c’est le lieu de l’Épreuve où Satan tente Jésus mais aussi le lieu de la révélation ou Jean-Baptiste le précurseur révèle Jésus comme le Messie, où Jésus y trouve un lieu de repos et de prière.
À l’époque du ministère de Jésus, l’exode sinaïtique est toujours présent dans les esprits, ainsi dans la première épître aux Corinthiens on met en garde de ne point se comporter comme les Hébreux lors de la traversée du désert. Dans le Nouveau Testament, le thème du désert est employé pour souligner l’ambiguïté du personnage de Jésus qui d’un côté vient répondre à l’attente eschatologique de l’ancienne Alliance mais qui, d’un autre côté la dépasse parce qu’il est le fils de Dieu (pour les Chrétiens).

 Le désert dans le Coran.

L’étude du thème du désert dans le Coran peut être rapidement faite : le mot désert n’apparaît nulle part dans les textes coraniques.
Cela peut être compris comme un paradoxe car par le mode de vie arabe, c’est bien la religion la plus liée au désert. Oublie-t-on de parler du désert quand il devient trop intime comme l’on oublie que l’on respire ? Le manque ou l’absence d’eau est le caractère le plus remarquable du désert. Comment ne pas comprendre alors une soif de paysages irrigués, d’eaux courantes, de pluies pour un peuple qui doit faire quotidiennement avec ce facteur limitant ? C’est ainsi par le jeu des oppositions que l’on discerne le désert dans le Coran.
L’eau se donne si peu aux hommes qu’elle devient une récompense divine, autant dans le monde présent (pluies par exemple) que dans le monde à venir (le paradis est un lieu quasi-aquatique) : “Mais ceux ayant pratiqué les bonnes œuvres habiteront les jardins où coulent des torrents” (Sourate xx ; verset 77).
Des parties constitutives du désert sont néanmoins évoquées. Ainsi les éléments minéraux sont placés en antithèse de la vie et le désert peut servir de vengeance divine (Sourate xvii ; verset 70 : « un tourbillon qui vous ensevelira sous le sable ») Si l’on tient compte de ces remarques le désert revêt largement une connotation négative et l’on ne retrouve pas dans le Coran les vertus positives lues dans la Tora et le Nouveau Testament.

Les hommes face au désert et la naissance du Judaïsme et du Christianisme.

La confrontation entre l’homme occidental empreint de culture judéo-chrétienne et le désert s’effectue aussi, inconsciemment, selon les mêmes modalités d’ambivalence du symbole désertique que celles des Écritures.
On lui reconnaît ce caractère redoutable, son caractère meurtrier comme le relate Saint-Exupéry (dans Terre des Hommes) lors d’une perdition.
Pour Ernest Psichari, se disant de la France militaire et chrétienne, lors de reconnaissance dans le Sahara mauritanien (avant la première guerre mondiale), le désert sera le lieu de sa conversion complète au christianisme. Selon ses propos « le désert est un carrefour sacré, d’où l’on sort condamné ou sauvé ».
Pier Paolo Pasolini dans son livre Théorème, souligne sa conception de l’influence désertique pour les deux premières religions monothéistes. Pour lui, les Hébreux se sont mis à concevoir de manière évidente un Dieu unique qu’à partir de cette traversée du désert du Sinaï lors de l’Exode. Ou plus exactement, c’est le désert qui a provoqué ce monothéisme (le mot « dieu » n’est pas employé) par son aspect monotone, toujours identique à lui-même, unitaire.
Le même rôle revient au désert vis-à-vis de l’Apôtre Paul, considéré comme un des fondateurs du Christianisme. Pasolini comprend sa fameuse illumination sur le chemin de Damas comme l’action encore du désert.

Lien entre expérience du désert et type de foi.

Ce témoignage de Pasolini nous conduit à juger du rôle de l’environnement. Il est difficile de penser que le désert, milieu si marquant, n’ait pas influencé l’évolution, si ce n’est la création, des religions qui y sont nées.
Mais peut-on dire que le désert induit forcément le monothéisme ? Non, bien sûr, il existe à cet égard de nombreux contre-exemples, mais qu’il ait forcé vers ce type de foi, pour les Hébreux, cela est probable, le Christianisme et l’Islam, religions affiliées au Judaïsme, reprenant cette croyance car adaptée au milieu.
Une autre caractéristique du monothéisme est son aspect historique. Contrairement aux religions traditionnelles, le monothéisme abrahamique vit dans le temps, participe au dessein conçu par Dieu en faveur des hommes. Cette donnée historique doit-elle chercher son explication dans la fréquentation du désert ? En effet, n’oublions pas l’épreuve de l’Exode où la malédiction prenait la forme d’un infini cyclique, d’un perpétuel recommencement. (cf. Pasolini)

Le retour au désert.

Pour les religions monothéistes nées dans le désert, le retour aux sources, si l’on peut dire, semble naturel, surtout en ce qui concerne le monachisme chrétien.
Avant Jésus Christ, existaient déjà des sectes qui se coupaient du monde où règne le mal, pour le désert, comme ce fût le cas des Esséniens.
À ceux des chrétiens qui cherchaient à rester rigoureusement fidèles à l’idéal évangélique, gagner le dépouillement et le silence du désert à l’instar du Christ et de saint Jean Baptiste, paru la voie à suivre. C’est parmi ces Chrétiens réfugiés dans le désert que l’on retrouve les saints commentateurs des Écritures que l’on nomme les Pères du désert, dont les illustres sont saint Antoine et saint Pacôme. C’est à l’initiative de ce dernier que se formèrent les monastères qui vinrent fleurir dans le désert d’Égypte surtout.
Érémitisme et monachisme sont deux voies par lesquelles les Chrétiens trouvèrent le moyen de retrouver Dieu par la contemplation et l’ascèse. Ces deux données complémentaires se retrouvèrent dans le soufisme musulman. D’abord voie dénigrée car l’Islam place le Créateur hors de l’entendement et donc hors d’une relation affective directe et régulière entre l’homme et son Dieu, le soufisme fût reconnu et devint la voie de l’ascèse dans l’Islam, inspirée de celle chrétienne.

En conclusion.

Nous avons pu entr’apercevoir quelles étaient les multiples relations entre le désert et les religions monothéistes.
Leur histoire est jalonnée de rencontres avec le milieu minéral, autant de manières réelles et concrètes que de manières plus ou moins symboliques. Bien sûr, ce n’est pas le seul lieu géographique bénéficiant de cette faveur relationnelle (c’est le cas sans doute des montagnes qui mériteraient un travail), mais pour reprendre une phrase du petit Prince (de Saint-Exupéry), « Ce qui embellit le désert c’est qu’il cache un puits quelque part ». On est tenté de rajouter : un puits de connaissance ?