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De l’habitation aux pieds d’argile, Les vicissitudes des matériaux et techniques de construction à Siwa (Égypte), Journal des Africanistes, Sahara : identités et mutations sociales en objets (Tatiana Benfoughal et Sébastien Boulay dirs), 2006, Tome 76, fascicule 1, p. 165-185.
ISBN : 2908948206
ISSN : 0399-0346
DOI : 10.4000/africanistes.197
Fichier pdf : https://hal.science/halshs-00004043
Sur le site de la revue : http://africanistes.revues.org/197
– Synopsis proposé :
Reflet de l’importance qu’il lui accorda, Leroi-Gourhan consacra une large part à l’habitation dans son traité sur la technologie (Milieu et techniques). L’habitation et surtout les modifications de son apparence et son architecture à Siwa, oasis saharienne et égyptienne des confins libyens, semblent aujourd’hui focaliser toute l’attention, mais avec des motivations toutes différentes.
Si l’on peut décrire Siwa comme « une oasis vierge, et [qui] n’est pas encore affectée par les styles modernes » (Architecture Traditionnelle méditerranéenne, Corpus, Euromed Heritage, http://www.meda-corpus.net), on notera qu’au moins depuis son accès facilité par la route goudronnée qui la relie à la côte (1984), Siwa a été le témoin d’importants changements dans les modalités de l’habitat, mais également de ses habitations. On pourra s’intéresser à la maison comme objet, mais aussi en particulier aux techniques de constructions et aux matériaux. Ces matériaux sont massivement passés de l’argile (un mortier d’argile salée, le karshif en arabe et le tlaght en siwi, parler berbère de Siwa) au gypse calcaire équarri (Tôb en arabe ou en siwi). Ces deux matériaux sont identiquement locaux et de production locale, mais s’opposent sur plusieurs points. La couleur varie (on passe de l’ocre rouge au blanc éventuellement enduit et coloré). Le matériau induit une plasticité générale de l’ouvrage différente à la modification. Le changement de matériau est concomitant d’un changement de la conception de l’habitat et des usages sociaux de l’habitat (d’habiter, proxémies en particulier).
Notons surtout que le matériau argileux disparaissant des usages, il semble avoir été pris en affection par de nouveaux acteurs de poids dans la région, les nouveaux promoteurs de la tradition (des politiques et des commerciaux, obéissants et ecolodgiques). Ces acteurs inventent ainsi le style traditionnel de Siwa et pose l’argile comme objet de (re-) considération et celle-ci revient alors sur le devant de la scène oasienne pour, comme le dit sans ironie un habitant, « que ça reste comme avant ». Et ça marche : en peu d’années, le statut de l’objet tlaght (argile) s’est vu mieux partagé entre les divers acteurs : il est dit et pensé dans le même mouvement comme local-et-naturel et devient un marqueur aujourd’hui du « traditionnel ».
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– La revue Journal des Africanistes est une publication de la Société des Africanistes
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Messages
Bravo pour cette excellente description d’une métamorphose architecturale (à laquelle j’assiste depuis 1987). J’y ajouterai néanmoins un point de vue purement esthétique, qu’on jugera donc ethnocentré, mais néanmoins partagé par nombre d’Issiwanes eux-mêmes : les maisons en gypse équarri, aux façades désormais vaguement peintes (plus fréquemment badigeonnées d’une eau colorée) sont non seulement très inconfortables l’été (chaleur insupportable qui pousse souvent les habitants à dormir dehors), mais aussi extrêmement laides. En réalité, je ne crois pas avoir vu de maisons plus laides où que ce soit au monde. Je tiens à disposition de qui en douterait des photos assez éloquentes. D’autant plus laides et polluantes à ’àil qu’elles se trouvent éparpillées dans un décor naturel d’une grande beauté, d’une beauté grandiose, même, à certains endroits de l’oasis (le ’’vieux touriste’’ de la source Juba doit être myope).
J’aimerais aussi émettre un doute sur l’affirmation que l’enduit d’argile sur les façades des maisons en gypse équarri (officiellement obligatoire) ne ’’tient’’ pas. Je crois plutôt que les Issiwanes, pour des raisons économiques plus ou moins légitimes, n’ont pas voulu vraiment qu’il ’’tienne’’ : il m’a semblé, en effet, qu’il était posé à la va-vite, parfois même propulsé par jet à l’aide d’une machine, et surtout qu’il était toujours d’une couche extrêmement mince. J’observe le non-respect du décret gouvernemental depuis sa promulgation : je n’ai jamais vu un Issiwane appliquer ’’à l’ancienne’’ une bonne et large couche de ’’tina’’ sur ses parpaings.
Il est vrai de dire que cet enduit de façade n’intéresse {a priori} que les touristes esthètes à tendance écologique. C’est pourquoi je tente depuis quelques mois de faire circuler une idée : faire payer cet enduit (ou toute autre artifice qui permettrait d’estomper la laideur du parpaing) par les touristes eux-mêmes, au moyen d’une taxe modique sur les nuits d’hôtels et les repas des restaurants. Si l’on songe que la nuit à l’écolodge Adrere Amellal (EQI) est facturée 400 dollars (pension complète, soyons précis), on conçoit qu’une taxe de 1 ou 2% y suffirait amplement. Je ne serais pas étonné qu’ainsi, payé par les touristes, l’enduit de façade tienne enfin (ne serait-ce que quelques mois renouvelables)... au grand plaisir aussi des Issiwanes, qui retrouveraient alors une part de la climatisation naturelle de leur habitat disparu.
Pour finir, deux mentions (hors sujet) de deux autres pollutions à Siwa : la première, elle aussi visuelle, est le sur-éclairage nocturne (des monuments, des rues, des chemins) ; la seconde, bien plus grave, voire mortelle à plus ou moins court terme, est la salinisation excessive des terres, due à une surconsommation d’eau (irrigation irraisonnée et fortement croissante).
Un peu de temps pour répondre :
Mille merci d’avoir pris le temps de ce long et profitable commentaire sur Siwa. Il est vrai que le jugement esthétique personnel n’a guère sa place dans un article scientifique — la dyade jugement de valeur/jugement de fait (un jugement de valeur n’est pas un jugement de fait, il s’auto-confirme dans l’intention même de celui qui le prononce) —, je ne puis guère me le permettre, mais celui des autres m’intéresse au plus haut point... scientifiquement !
J’aimerais savoir, par exemple, ce qui fait dire que telle couleur de maison est laide ou que telle autre non : non point pour juger si cette personne a tord ou raison, bien sàr, mais pour comprendre les critères de ces jugements de valeurs, ici, en ce qui concerne l’environnement.
Quant à la question de l’enduit d’argile, je sais que c’est possible de le faire tenir sur les agglos, il faudrait au minimum, je pense, à piquer à le calcaire pour que cela ne glisse pas. En tous cas, un solution simple doit effectivement exister.
Reste la question du devenir de l’oasis de Siwa : je la vois comme une à Venise des sables, une Venise saharienne, elle s’enfonce doucement dans les eaux, elle va couler, c’est un comble, dans le désert le plus aride. En effet, les eaux continuent de monter régulièrement. Quelle solution technique ? Gageons que l’àtat trouvera s’il ne veut pas perdre son (futur) gagne-pain touristique.
Merci pour cette réponse.
Je n’ai pas dit que la couleur des nouvelles maisons de Siwa était laide. Ce sont les parpaings que je trouve laids, cet assemblage (souvent bâclé) de blocs façon lego, qui reste visible sous le badigeon. Il faut bien dire aussi que le badigeon ressemble souvent à une eau sale mal étalée. Et quand il n’y a pas de badigeon, les blocs sont blancs. Dans la mesure où un blanc peut rester blanc.
Cette question d’esthétique est finalement cruciale, et très révélatrice à Siwa. Il y a encore 20 ou 30 ans, les Issiwanes décoraient l’extérieur de leur maison. Il y avait chez eux une démarche esthétique en plus de l’utilitaire. Ils n’étaient pas plus riches qu’aujourd’hui, bien au contraire, même s’ils étaient moins nombreux. (Les Issiwanes d’aujourd’hui ont presque tous une parabaole et ils sont de plus en plus nombreux à échanger leur karo contre une Toyota.) On peut se demander ce qu’il en est d’une communauté qui (à de très rares exceptions près) construit ses maisons sans le moindre décor extérieur, sans le moindre souci esthétique, qu’il soit ’’traditionnel’’ ou non. C’est le cas, et c’est étonnant pour des Berbères, et c’est triste aussi : pas le moindre effort pour que ce soit beau. Quelle que soit la beauté dont on parle.
Cette perte du souci esthétique, quel argument peut-on avancer pour ne pas le déplorer ?
J’ajoute ci-dessous un lien hypertexte pour que l’on comprenne bien de quoi l’on parle.
Le problème de l’eau qui monte. Il existe une solution technique, mais qui demande des moyens, l’abandon d’une pratique immémoriale et l’apprentissage d’une technique nouvelle : étant donné la très forte croissance démographique à Siwa, l’oasis ne peut survivre qu’en abandonnant l’irrigation traditionnelle (par inondation) au profit d’une irrigation ’’raisonnée’’, par exemple goutte-à-goutte. D’après un expert (mandaté par EQI) que j’ai rencontré, il faut agir très vite...
Voir en ligne : nouvelle architecture siwi
Merci pour ces lignes. Il est vrai que la question de l’esthétique peut se poser, je suis d’accord. Pour moi ce serait surtout en ces termes : comment évolue l’expression esthétique ... Siwa et sur quels supports ? évidemment je n’ai pas de réponse {a priori}... Mais ça m’intéresserait grandement d’avoir des documents sur les décorations extérieures du bâti il y a 30 ans...
Quant à la question de l’irrigation, c’est vrai que la technologie du goutte à goutte a fait ses preuves ailleurs. Mais souvent en terres nouvellement mises en valeur, non pas dans le tissu des vieilles palmeraies. Reste à savoir comment on pourrait importer cette technique dans ce terroir oasien-ci, et quel en sera la ’’réception’’ par les interessés...