par Vincent Battesti, Joël Candau

Appel à contributions pour un ouvrage collectif coordonné par Vincent Battesti & Joël Candau. La date limite pour soumettre une proposition est le 1er octobre 2019.

Apprendre les sens, apprendre par les sens : anthropologie des perceptions sensorielles

 Éditeurs de l’ouvrage : Vincent Battesti & Joël Candau

Une double évidence est mise en lumière par les chercheurs travaillant sur le sensoriel, quel que soit leur horizon disciplinaire. L’une est que tous les êtres humains disposent d’aptitudes sensorielles innées dont la variabilité interindividuelle reste bornée par une complexion propre à l’espèce. L’autre est que les divers groupes sociaux mettent en œuvre des modalités sensorielles variées (Howes, 1991). Par conséquent, si la perception sensorielle est un attribut de notre biologie, elle s’apprend aussi. Elle n’est pas seulement la rencontre du biologique et du culturel, elle est un phénomène bioculturel en ce sens que si elle est définie et limitée par les informations auxquelles sont naturellement sensibles nos organes des sens, la sensibilité même de ces derniers est en partie modulée et modelée par l’environnement social et culturel. Cela va donc au-delà du schéma classique (Schilder, 1935) qui oppose la sensation qui serait de l’ordre du biologique à la perception qui serait de l’ordre du culturel.

Cette modulation et ce modelage des perceptions sensorielles sont le produit des interactions avec un environnement physique et social et d’un apprentissage culturel, que celui-ci soit délibéré, explicite et codifié ou simplement « évoqué » (imprégnation, « frayage », apprentissage « par corps », etc.), implicite, non formalisé. Cet apprentissage, qui vise à exploiter de manière optimale les aptitudes sensorielles des individus, en fonction des attentes du groupe social, est donc modulé socialement et culturellement. Ainsi, dans de nombreuses configurations socioculturelles ou « matrices culturelles » (Candau, 2016), par exemple, l’apprentissage des compétences visuelles est privilégié. Mais dans d’autres configurations, la balance des sens peut être différente et l’accent mis sur des compétences tactiles, olfactives, etc. Par ailleurs, en regard d’un sens donné, l’exploitation de la sensibilité sensorielle des individus sera plus ou moins développée selon la configuration socioculturelle considérée. Par exemple, les Tsimane’ de la forêt tropicale bolivienne détectent le n-butanol à des taux de concentration significativement plus bas que des sujets allemands vivant à Dresde (Sorokowska et al. 2013), pour des raisons liées, du côté des Tsimane, à l’apprentissage et à la pression environnementale et, du côté des Allemands, à l’impact de la pollution. Bref, il existe une enculturation de la perception, induite par l’apprentissage et modulée dans le temps historique (songeons aux travaux d’Alain Corbin) ou dans la gamme des configurations socioculturelles contemporaines.

L’objectif de cet ouvrage est de réunir des contributions consacrées à cette thématique de divers horizons disciplinaires : l’apprentissage du sensoriel et le sensoriel dans l’apprentissage. L’apprentissage est l’une des meilleures clefs pour comprendre la part de la conformation sociale et culturelle de nos appareils sensoriels, que ce soit au moment de la jeune enfance quand on apprend à lire, entendre, sentir (etc.) le monde, ou au moment des apprentissages et acquisitions de sensorialités expertes (métier, passions diverses, etc.). On peut attendre aussi une réflexion des chercheurs en sciences sociales sur les enjeux méthodologiques que représente l’observation d’apprentissages et de vécus sensoriels — souvent « faiblement dicibles » et parfois pas du tout — ainsi que sur leur propre apprentissage sensoriel des mondes sociaux dans lesquels ils s’immergent. Par exemple, l’anthropologue ou l’archéologue doit se décentrer de son propre univers sensoriel et passer par un apprentissage pour entrevoir celui des groupes sociaux sur lesquels il travaille et restituer les gestes du passé.

Cet ouvrage sera traversé par trois thématiques :

  • L’apprentissage primaire des perceptions sensorielles.

La jeune enfance est sans doute le moment privilégié d’observation de cet apprentissage sensoriel. Au cours de la socialisation primaire, comment sont modulées et modelées nos aptitudes sensorielles ? Quels sont les mécanismes, les modalités de cet apprentissage ? Est-il toujours optimal ? Quelle est la balance entre les différents sens ? L’apprentissage est-il genré ? Quel est l’effet des TIC et de la part croissante prise par des environnements virtuels ? etc.

  • Les apprentissages experts.

Nous héritons d’univers sensoriels qui nous semblent naturels et souvent indicibles ; les sensorialités sont donc difficiles à questionner et étudier. Cependant, de nouveaux apprentissages sensoriels sont à l’œuvre, des univers sensoriels s’acquièrent dans le cadre d’expertises professionnelles, familiales, ludiques… (œnologie, cuisine, chasse, etc.). Comme l’enfance, ils sont des moments favorables pour étudier l’apprentissage culturel de ces sensorialités.

  • Assimiler les sensorialités des autres.

En théorie, l’ethnographe sait qu’il doit être réflexif et se « décentrer » de ses propres catégories, notamment sensorielles, quand il est sur le terrain et qu’il tente de comprendre les univers sensoriels des « autres ». Apprendre les sensorialités devrait être pour le coup aussi l’une des activités professionnelles de l’anthropologue. Aborder les sensorialités des autres, cela va de soi, mais faut-il que le chercheur présente aussi son propre apprentissage sensoriel ? Qu’en est-il d’autres métiers, comme par exemple l’archéologie qui ne peut qu’interroger des artefacts, ombres portées de sensorialités disparues, et s’appuyer sur ses propres perceptions sensorielles pour retrouver celles du passé ?

Le projet de cet ouvrage est né d’un atelier/séminaire de recherche qui s’est tenu au Musée de l’Homme à Paris. Ces journées furent l’occasion d’échanges féconds entre chercheurs de disciplines différentes (anthropologie, biologie, ethnoécologie, ethnomusicologie, éthologie cognitive, préhistoire, psychologie du développement, etc.). Dans cet esprit interdisciplinaire, sont fortement encouragées les contributions non seulement en anthropologie mais des discipline susmentionnées, et par ailleurs des contributions, même expérimentales, écrites à quatre mains. L’ouvrage est destiné à une collection d’une maison d’édition francophone, dédiée aux études sensorielles. Une partie des chapitres est déjà retenue, les éditeurs de l’ouvrage ont décidé de l’ouvrir à d’autre propositions.

Les propositions de contribution sont attendues sous la forme d’un court résumé avant le 1er octobre à adresser aux éditeurs de l’ouvrage.


 Contact : Vincent Battesti & Joël Candau
 Calendrier :

  • 1er octobre 2019 : date limite d’envoi des propositions de chapitre (un résumé d’une demi-page) à Vincent Battesti et Joël Candau.
  • 15 octobre 2019 : notifications aux auteur(e)s de l’acceptation ou du refus de leur proposition.
  • 3 février 2020 : date limite d’envoi des chapitres rédigés (maximum 50 000 à 100 000 signes tout inclus). Plus d’informations sur le format des chapitres seront fournies aux auteur(e)s après acceptation.
Appel à contributions « Anthropologie des perceptions sensorielles : Apprendre des sens, apprendre par les sens »
Vincent Battesti & Joël Candau
Dans l’oasis de Siwa (Égypte), le 16 novembre 2014, cliché Vincent Battesti
Vincent Battesti