Toutes les versions de cet article : [English] [français]

par Vincent Battesti

CRISIS :
Réponses impériales et provinciales
aux défis environnementaux et économiques
à la frontière de l’Empire (Désert égyptien, Ier-VIe s. p.C.)

CRISIS est un Projet collaboratif international ANR
Défi : Les sociétés face aux changements climatiques 2015

Je mènerai des enquêtes ethnologiques pour une meilleure compréhension des interactions entre les hommes et leur environnement dans les oasis, au sein du « Task 2 » dont les thèmes sont « Archéologie et histoire » (Resp. : G. Tallet avec R. Bagnall, S. Ikram et C. Rossi).

 Le projet Crisis :
Coordinateur : Dr. Gaëlle Tallet, Université de Limoges (France)
Co-PIs : Prof. Roger S. Bagnall (New York University, USA)
Prof. Jean-Paul Bravard (Université Lumière Lyon 2, France)
Prof. Salima Ikram (American University in Cairo, Egypt)
Dr. Corinna Rossi (Centre MUSA, Université Federico II, Napoli, Italie)
Durée : 48 mois (à partir de 2015)

 Site web : http://oasis.unilim.fr

 Présentation (source) :

Certains concepts peuvent occulter par leur puissance évocatrice même la diversité et les nuances – régionales, périodiques – des phénomènes qu’ils décrivent. Le concept de « crise » est de ceux-là, en ce qu’il semble opportunément restituer la complexité d’événements dont on pressent qu’ils ont été décisifs et porteurs de mutations fondamentales, mais introduit toutefois une dimension temporelle problématique, concentrant en un temps limité des phénomènes structurels et des séquences dont la convergence n’est pas évidente. Jared Diamond, qui lui a préféré le concept d’ « effondrement » (2005), a considérablement approfondi l’approche d’un processus qui conduit à penser la question fondamentale de la résilience des sociétés, anciennes ou modernes, en mettant l’accent sur les processus d’adaptation, de réponse et d’innovation. De fait, ces concepts de « crise » ou d’« effondrement » ont profondément marqué l’historiographie, et en particulier celle de l’Empire romain, comme en témoignent les travaux controversés d’Huntington, qui a tenté de penser l’effondrement de Rome dans une perspective climatique. Mais ils posent aussi d’importants problèmes méthodologiques : quelle échelle de temps retenir ? Comment rendre compte des résiliences des structures ? Comment évaluer les dynamiques et éventuellement les apports d’une crise au sein d’une société ?


À cet égard, la deuxième moitié du IIIe s. de notre ère a longtemps été perçue comme une période de crise politique majeure dans l’Empire romain, à laquelle les auteurs anciens, païens comme chrétiens, associent fréquemment un cortège de guerres incessantes, d’incursions barbares, de famines, d’épidémies et de tremblements de terre. Les historiens des dernières décennies ont pu apporter des nuances à cette « grande crise du IIIe siècle », selon l’expression de Marc Bloch, et ont souligné la diversité des situations dans les différentes Provinces.

En Égypte, on peine à articuler les différentes facettes invoquées de cette crise –militaire, matérielle, culturelle, économique– souvent attribuées hâtivement au IIIe s., et on en entrevoit dans les sources des manifestations tout au long d’une période de transition qui s’étend du début du IIIe s. jusqu’au VIe s. Une crise difficile à appréhender, donc, et qui requiert une approche pluridisciplinaire et sur une longue durée. C’est ce qui transparaît de l’examen de la situation dans une zone fondamentale pour comprendre la période, à savoir les oasis du désert Libyque et plus particulièrement la Grande Oasis, entité formée par les oasis de Dakhla et de Kharga, dont l’insertion dans une ligne de frontière défensive au sud de l’Empire a fait débat. Contre toute attente, dans ce milieu oasien, quasiment insulaire, fragile et exposé, proche des modèles îlotiques retenus par Diamond, la crise échappe, l’effondrement menace sans cesse mais ne se laisse pas aisément documenter. C’est davantage la résilience de ces sociétés que nous montrent les sources.


Quatre missions archéologiques travaillant dans la Grande Oasis – l’équipe d’Amheida, à Dakhla, dirigée par Roger Bagnall, le North Kharga Oasis Darb Ain Amur Survey, sous la responsabilité de Salima Ikram, la mission italienne d’Umm Dabadib, dirigée par Corinna Rossi, et la mission française d’el-Deir, dirigée par Gaëlle Tallet– se proposent de collaborer avec une équipe de géoarchéologues, dirigée par Jean-Paul Bravard, afin de tenter d’appréhender plus finement la situation dans cette zone majeure de l’Empire pendant une longue période de transition – du Ier au VIe siècle de notre ère – avec une méthode pluridisciplinaire. Les facettes environnementales, politiques, culturelles et économiques des différentes crises qu’a traversées la Grande Oasis à la fin de l’Antiquité seront étudiées de manière conjointe de manière à mieux appréhender la résilience et les capacités d’adaptation de ces sociétés, et à proposer une approche régionale de la question fondamentale de la fin de l’Empire romain.