par Vincent Battesti

Le jardin absorbe jour après jour un nombre considérable d’heures de travail. La figure ci-dessous (voir la figure) présente l’évolution de la masse horaire consacrée par quinzaine (de jours) au jardin sur une année. Tous les travaux (et les travaux seulement) de treize jardins sont comptabilisés. Ces jardins, répartis sur l’ensemble de la région du Jérid, sont un échantillon d’un suivi présenté dans la deuxième partie de cet ouvrage. Si les variations saisonnières sont visibles, dans l’ensemble le travail sur l’année est continu et important. Le pic des mois d’avril et mai correspond à l’activité maraîchère, celui de juillet à la suspension des régimes de dattes et au ramassage des dates immatures ; en octobre et novembre, le regain d’activité est lié à la récolte des dattes et pour certains au travail du sol que d’autres effectuent en janvier ou février.

On remarque que les variations des deux courbes se correspondent bien l’une l’autre. Pourtant l’une (en bleu) est la masse horaire cumulée de l’activité sur treize jardins (par quinzaine) ; l’autre (en rouge) est la moyenne de la masse horaire (par quinzaine aussi) de chaque jardin ramenée à l’hectare (car la surface des jardins de l’échantillon varie entre 0,5 et 4 hectares). Cela peut se lire ainsi : l’intensification de l’agriculture dans les palmeraies. En effet, l’investissement en temps de travail augmente en proportion de la surface du jardin. Avoir un grand jardin n’augure pas d’un caractère extensif de l’exploitation : au contraire, on se donne les moyens de travail pour exploiter plus grand. Ces treize jardins sont les représentants également de stratégies culturales variées ; ce graphique laisse lire aussi que grosso modo ces stratégies culturales n’interviennent que peu sur le déploiement temporel de la masse horaire de travail consacrée à l’exploitation. Existerait-il une sorte d’inertie lié au choix des plantes cultivées ? Pas uniquement. Peut-être tient-on là quelques invariants ou plutôt quelques tendances de l’agriculture régionale, en étant très prudent, caractérisée par l’intensification et les pics d’activités précités.

Évolution de la masse horaire consacrée au jardin

Cette figure ne présente qu’un temps global du travail dans le jardin (plus loin, nous verrons une présentation plus fine). Le jardinier a une pratique intégrée de l’agriculture de son jardin. Il lui est problématique de différencier pour certains types de travaux l’objet précis de son labeur, et cela est bien compréhensible. Dans mon travail d’établissement de « références technico-économiques » de l’agriculture oasienne (Battesti, 1997), cela se traduit par une catégorie « travaux généraux », une catégorie qui peut être un des marqueurs de l’agriculture d’oasis (une polyculture intensive). Entrent dans cette catégorie l’irrigation, le nettoyage, l’entretien général, des traitements phytosanitaires (les plantes sont souvent associées), le travail du sol. Les jardiniers le disent souvent eux-mêmes : ils ne travaillent pas pour ne plante (une culture), mais pour le jardin en son entier. Et dans ce jardin ici chez lui, bien souvent, il y est tous les jours. Les cultures se succèdent avec les deux grandes saisons, l’hiver et l’été. Le jardin est l’espace du travail agricole, le lieu où s’accomplissent les gestes de l’agriculture d’oasis.

Extrait de l’ouvrage « Jardins au désert », 2005, p. 79-80
Jardins au désert, Évolution des pratiques et savoirs oasiens, Jérid tunisien