– 27 octobre 2005. Turquie, Istanbul.
Le muezzin me réveille ! Je ne croyais plus cela possible. Première activité de la journée : je change d’hôtel. La vie est chère dans ce pays, et Istanbul plus encore. Première reconnaissance : la Mosquée bleue, elle est peut-être bleue dedans, mais fermée pendant les heures de prière, je repasserai. Et dans la cour, une foire du livre. Curieux des éditeurs dans une enceinte religieuse, j’attendais mieux de la laïque Turquie. Voilées muhajabat et munaqabet font les stands. Mais je n’en ai pas vues à l’extérieur.
Pour l’instant, Istanbul me semble beaucoup plus Rome qu’Alep ou Le Caire… Le Grand Bazar : même impression. Si on cherche des sensations orientales, on peut virer vers l’Arabistan, mais à Istanbul, tout est propre et bien ordonné, l’Italie encore. Par contre, tous les objets du bazar sont incroyablement beaux, les tissus, les lampes, les porselen (les plus belles, même de Kütahya, sont ici), les tapis… C’est très calme et pas du tout la mêlée que je pensais. Un orient bien encadré et civil.
Promenade. Tombeaux de saints et sufis illustres, familles qui se déchaussent et femmes voilées pour un rotation autour du cercueil drapé de vert .
Turc, je suis turc pour les gens que je croise. En tout cas, je ne suis plus l’agnabi (étranger) évident. Istanbul, comme toutes celles que j’ai vues (sauf Pamukkale et Göreme), n’est pas une ville qui ait à vivre du tourisme. Même le Grand Bazar est peuplé de piétons turcophones. Sur le Galata Köprüsü, les pêcheurs trempant leurs lignes dans la mer sont là aussi de jour, mais tous côté Méditerranée, et non mer Noire (?). Les minarets des mosquées dans la brume du crépuscule, une vraie carte postale.
Je vire en voiture vers Istiklal Cadessi, l’avenue référence d’Istanbul. Tout est illuminé, ça brille, ça grouille. Des boutiques, consumérisme de loisir. Quand Beyrouth négocie en dollars, Istanbul affiche ces prix en lira turque et en euros. Je ne suis habitué ni à l’un ni à l’autre. Beyrouth et Istanbul sont difficiles à comparer, cela dit. Deux villes ouvertes, mais Beyrouth est méditerranéenne et provinciale quand Istanbul est à elle-même. Loin des points chauds touristiques, les boutiques vendent des objets « ethniques » africains et indiens, porcelaine chinoise et française pour les résidents d’Istanbul ; chacun son exotisme.
On peut acheter des morceaux de tablette de chocolat, enveloppée de leur papier d’aluminium ; après m’être coincé des amandes entre les dents, je retourne à Sultanahmet pour finir au café Meşale. Et elles s’amusent vraiment ces Libanaises, ces Turques je veux dire. Elles n’hésitent pas à se lancer dans des danses genre du ventre (soft) en plus sautillant, pas très pro, mais plein de bonne humeur. Les musiciens ne sont pas déguisés, juste habillés normal et joue du kanun, derbuka et tambourin : c’est comme si les gens ici aimaient être touristes dans leur propre ville, mais ce n’est pas ça, ce n’est que le cadre quotidien apprécié, pas de distance ironique, juste : ils apprécient (même avec un derviche tourneur qui monte sur la scène). Une jeune femme voilée de rose fume sa clope, une autre qui vient de danser rejoint ses amis à la table sans qu’ils se sentent obligés de noter son retour de prestation (comme cela se ferait ailleurs dans un karaoké), deux jeunes femmes me regardent lire en fumant leur narguilé à la pomme dont les senteurs fruitées finissent de me décider d’en commander une. Johnny chien méchant aura droit à une prolongation de lecture, tandis qu’un de mes voisins, barbu à lunettes, élève la voix pour accompagner le chanteur et qu’une nouvelle table de sept filles (quatre voilées et une dont je ne soutiens pas le regard) s’installe à côté.