par Vincent Battesti

 16 octobre 2005. Syrie, Palmyre (Tadmor). Après-midi.

J’ai changé d’hôtel. J’ai pris pour voir le premier prix, dix fois moins cher que le Zenobia, et je trouve ça sincèrement mieux, je m’y sens chez moi, beaucoup plus à l’aise et je m’évite le personnel veule et gagne un gérant qui veut parler, qui m’invite à son iftar… en tête-à-tête. Nader al-Abd-Allah, un tadmory (de Palmyre) depuis trois génération et à voir son âge… Curieux bonhomme qui a roulé sa bosse dans plusieurs pays arabe, petit commerce. Il ne jure que par le restau popu Garsh à Saïda Zeinab au Caire. Il m’a donc gavé de son frik aux fèves et au poulet, puis de thé et enfin de café. Jolie hospitalité. Après le repas, sont venus nous rejoindre des amis à lui, pour regarder le musalsal (feuilleton) syrien et discuter. Notamment un vieux en djelaba sombre, avec une belle raie sur le côté et une moustache à la Hitler (mais qui aurait un peu poussé).

Mis à part une visite de courtoisie au musée ethnographique de la municipalité, l’après-midi s’est passé dans la palmeraie. C’est mon royaume. Une belle palmeraie, immense « c’est beaucopu plus grand que le beled », le village, me dira un jardinier), pleine de jardins et chaque jardin (bustan) entouré de son gros mur de pierre aux portes de tôle soit de forme carrée et large (qui laisserait passer une charrette) soit plus étroite, basse, mais cintrées en pierre, ce qui donne des allures d’entrée élégante de cave. Pour la première fois j’identifie une odeur d’oasis, mélange sans doute de poussière, terre mouillée, de palmes sèches, de crottes de ghanam (moutons et chèvres). Toujours le même tiercé en tête : palmiers dattiers, oliviers et grenadiers. Il n’y a plus de source commune (tarie), mais des moteurs dans les jardins et je pense des moteurs gouvernementaux vu que le réseau d’irrigation des séguias (séqi) entre les jardins est encore en eau, solidement implanté, en pierre, qui jette ses ramification partout.

Je discute avec un jardinier qui achète sur pied des récoltes de dattes (il est spécialisé : il ne fait pas les olives). Il attend avec son âne et sa charrette, assis dans la poussière, le propriétaire du jardin qui doit arriver avec sa clef. On entend meugler dans les jardins environs, une baqara ici, une autre là, qui peuplent, avec les oiseaux, l’espace sonore apaisée de la palmeraie. Il me montre un palmier, qu’il ira récolter tout à l’heure, « là, c’est 150 kg de belah (dattes), il y en a pour 1000 lira » syriennes (20 $). Plus tard, après m’être un peu perdu, je repasse au même endroit et cette fois le proprio est là et me demande tout de suite si je jeûne. « Dans ce cas, prends des dattes, mange ! vas-y ! » J’hésite devant des gens affamés. Les dattes se révèleront excellentes, je ne m’y attendais pas à ce point. J’essaye de limiter mes notes sur mon carnet, je suis en vacances. Pas facile.

Les palmiers portent leurs régimes de dattes rouges ou jaunes, les oliviers leurs fruits noirs et les fruits des grenadiers explosent de leurs petits grains rouges. Les jardins ont leurs petites planches de cultures dont certaines pleines de piment vert. Un tout petit tracteur passe, soulevant la poussière des étroits chemins de la palmeraie qui brille dans le soleil bientôt crépusculaire. Il traîne une remorque pleine de femmes et d’enfants colorés. Ces derniers, tous sans exception, s’amusent à me saluer de la main, les mères laissent faire, muettes. Où se rendent-ils ? dans un jardin ? en reviennent-ils ? Les femmes que j’avais croisées en quittant le village pour la palmeraie, assises à discuter sur le pas de leur porte, s’étaient, elles, amusées à me saluer en arabe, à l’aller comme au retour, notamment de ce shlownak ? syrien, comment vas-tu ? ou, mot à mot, « quelle est ta couleur ? », aujourd’hui, vert comme une palmeraie, mesdames.

Demain, je prends la route vers Homs puis Hama, avec un petit détour, peut-être, vers le Krak des Chevaliers si je suis d’humeur touristique. J’ai promis d’embarquer un jeune de Tadmor avec moi qui doit prendre son travail à Homs.

Au départ de la rue Talaat Harb, au Caire, mon compteur affichait : 82619 km.
Aujourd’hui, il en est à : 84766 km.

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