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Terrains d’Égypte, anthropologies contemporaines

Direction d’ouvrage.

Vincent Battesti , Nicolas Puig

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Vincent Battesti et Nicolas Puig (dirs), Égypte/Monde arabe, « Terrains d’Égypte, anthropologies contemporaines », n° 3, 3e série, 1er semestre 2006, 213 p.
Paru en janvier 2007.
ISBN : 2-905838-38-8 / 9782905838384
ISSN : 0752-4412 - 25 € (commandé, version papier).
DOI : 10.4000/ema.696
Fichier pdf : https://hal.science/halshs-00122847

 Nouveau : texte intégral sur le site d’Égypte/Monde arabe sur Revues.org : http://ema.revues.org/696.
 Accès autorisé dorénavant au téléchargement du numéro complet de la revue au format pdf :

Terrains d’Égypte, anthropologies contemporaines
n° 3, 3e série Égypte/Monde Arabe, V. Battesti & N. Puig (dirs), 2006, 213 p.

Ce numéro prend prétexte de l’Égypte pour traiter de la variété du rapport au terrain des ethnologues/anthropologues : qu’est-ce que le terrain des uns et des autres, quels rapports à celui-ci ? qu’y fait-on ? quels secrets de terrain ou plutôt que contient cette boîte noire qu’est le terrain ?

 Présentation :

Des terrains d’Égypte aussi nombreux et variés que les chercheurs qui les défrichent, c’est ce qu’illustre ce numéro d’Égypte/Monde arabe. Ces pages présentent l’écriture d’anthropologues qui ont durablement travaillé en Égypte et mettent en lumière leurs différentes façons d’aborder l’enquête anthropologique ; autant de déclinaisons liées aux dispositions et inclinations des chercheurs. Que l’on soit partisan d’une forme d’anthropologie qui ne fasse pas l’économie du terrain va « sans dire », nous semble-t-il, pour la plupart des anthropologues, mais « sans dire grand-chose » tant que l’on ne définit pas le terme « terrain ». Les relations des chercheurs à leur(s) terrain(s) forment ainsi des méthodologies d’enquête qui semblent aussi variées que les objets d’études.

Les anthropologues peuvent aujourd’hui revendiquer comme terrain tout espace qu’ils définiront comme lieu anthropologique. Que ce terrain soit un village oasien ou de pêcheurs, une classe sociale ou une communauté urbaine, un wagon de métro peuplé d’anonymes ou encore l’enceinte physique et scripturaire du tribunal, il s’agit toujours d’un espace de la relation à l’autre dans une perspective de connaissances sociales. Ce terrain n’est pas seulement défini par une unité de temps et d’espace, il est aussi constitué par l’ensemble des activités destinées à ménager un accès aux milieux sociaux visés (travail de reconnaissance, d’identification, de délimitation et de présentation de soi). Presque toutes les configurations sociales peuvent devenir « terrain » pour peu qu’elles fassent l’objet d’un investissement spécifique du chercheur et de ses « informateurs » en termes de techniques, procédés et méthodes. On n’ose parler de méthodologies tant celles-là seraient floues, mal définies, voire contradictoires d’un professionnel à l’autre. De plus, s’agissant d’êtres humains et sociaux qui en étudient d’autres, cette livraison interroge cette forme spécifique de rapport à autrui que constitue la relation anthropologique à partir de laquelle s’élabore la recherche et se collectent les données de diverses natures.

Ainsi, à propos d’« Égyptes » et de leurs habitants, il est proposé au lecteur une réflexion sur l’articulation entre conditions de l’enquête et résultats empiriques, afin de contribuer à expliciter cette obscure et peu dicible fabrique des anthropologies contemporaines in situ.

 Voir cette publication sur le site web du CEDEJ, éditeur.

Couverture du EMA 3/3
format pdf

- Sommaire :

 Vincent Battesti et Nicolas Puig
Terrains d’Égypte : Introduction

 Jean-Charles Depaule et Philippe Tastevin
Deux ethnologues dans le métro

 Nicolas Puig
« La vie du musicien est comme la vapeur d’eau, elle monte et disparaît » (à propos de musiciens, de mariages et de citadins au Caire)

 Barbara Drieskens (traduit de l’anglais par Vincent Battesti)
L’art de le dire : Une réflexion méthodologique sur les histoires de Djinns et autres sujets

 Baudouin Dupret
L’enceinte égyptienne du droit. Activité juridique et contexte institutionnel

 Nessim Henry Henein
Al-tasnît et al-zullîqa, deux techniques de chasse et de pêche du lac Manzala

 Fanny Colonna
Du travail en surface. Réflexions sur une expérience de terrain « profondément superficielle »

 Vincent Battesti
« Pourquoi j’irais voir d’en haut ce que je connais déjà d’en bas ? » Centralités et circulations : comprendre l’usage des espaces dans l’oasis de Siwa

Varia

 Aymé Lebon
Le saint, le cheikh et la femme adultère : courrier du cœur adressé à l’imam al-Shâfi‘î au Caire

 Matthieu Fintz
Diaspora africaine, esclavage et Islam. À propos de Slavery on the Frontiers of Islam, Lovejoy Paul E. (dir.)

- Résumés :

 Deux ethnologues dans le métro
Jean-Charles Depaule & Philippe Tastevin
« Nous sommes embarqués ». En partant de cette spécificité du « terrain » pour qui étudie les pratiques du métro, les auteurs reviennent sur la double enquête qu’ils ont menée sur celui du Caire. Mis en place à partir de la fin des années 1980, il est souvent présenté comme une oasis miraculeuse d’ordre et de propreté. J.-C. Depaule et P. Tastevin se sont interrogés sur la façon de rendre compte de ce « lieu mouvement » : de prendre la mesure d’une histoire en train de se faire ; d’observer les manifestations d’un savoir-vivre commun qui, selon eux, doit être rapproché des convenances observables dans l’espace de l’habitation (et ne saurait donc être imputé au seuls dispositifs « disciplinaires » conçus par les promoteurs et gestionnaires). Ils proposent en outre quelques réflexions sur les vertus et les limites d’une approche et d’une écriture à deux.


 « La vie du musicien est comme la vapeur d’eau, elle monte et disparaît » (à propos de musiciens, de mariages et de citadins au Caire)
Nicolas Puig

Justice est faite au musicien méconnu qui ouvre de cette phrase sibylline un texte portant sur les scènes et les coulisses d’un terrain d’Égypte dévolu au monde de la production musicale artisanale. Je n’avais pas noté grand chose de cette conversation avec Abu Magdi, mais cette petite phrase qui réapparaît aujourd’hui après trois années de fréquentation du milieu est d’une troublante banalité. Quelle vision traduit-elle du « drame social du travail » qui conduit les musiciens à sans cesse négocier leur statut afin de maintenir leur dignité vis-à-vis de leur public et des membres de la société citadine en général ?
La réponse à cette interrogation est l’occasion de relier l’exploration d’un monde social et de ses territoires à l’acte d’observation, en laissant ainsi l’enquêteur anthropologue apparaître dans le champ des descriptions. Ainsi, que ce soit au café, au domicile d’un informateur, dans les différents contextes de la performance – sur l’estrade des fêtes de mariages ou attablé en contrebas, « posté », le plus souvent caméra à la main, ou encore lors d’enregistrement de répétitions et de concerts –, par diverses méthodes passant toutes par une relation de personne à personne, ce qui fait le sel et l’originalité de la démarche, je tente de commuer la rumeur diffuse du métier de musicien en une sonorité plus claire, donnant à entendre le destin d’une profession et, à travers lui, l’une des voix de l’urbanité du Caire.


 L’art de le dire : Une réflexion méthodologique sur les histoires de Djinns et autres sujets
Barbara Drieskens
Au Caire raconter une histoire est un art qui implique à la fois les auditeurs et le narrateur. Il serait faux de distinguer entre un narrateur actif et un récepteur passif. Le public et le narrateur participent tous deux à l’événement de narration. Ensemble, ils constituent le sujet, le contexte opportun, la forme de l’histoire et les émotions en jeu. Les histoires naissent d’une rencontre, elles sont adaptées à un contexte, à des participants, à un lieu et un moment. Dans cette contribution, je montrerai comment tous ces éléments sont en corrélation et pourquoi tous ces éléments doivent être pris en compte pour saisir la richesse, les multiples messages et le sens d’une histoire sur les djinns ou sur d’autres sujets.


 L’enceinte égyptienne du droit. Activité juridique et contexte institutionnel
Baudouin Dupret
Cet article procède à l’examen empiriquement documenté de la nature de part en part située et contextuelle de l’activité juridique. Le droit se produit et se pratique en contexte, c’est-à-dire d’une façon dont on ne puisse rendre compte indépendamment des contingences du moment, du lieu, des membres et du cours séquentiel de l’action considérée. On cherchera tout d’abord à montrer l’importance de l’inscription contextuelle de l’action juridique, laquelle s’avère avant tout institutionnelle. En même temps, on verra que l’incidence du contexte ne doit pas être postulée, mais bien décrite à partir des manifestations empiriquement attestées de sa pertinence. Ce travail est le fruit d’une ethnographie menée à l’intérieur de nombreux tribunaux et sièges de parquet, au Caire et dans sa grande banlieue, et d’une familiarité continue avec des membres du pouvoir judiciaire. Il repose également sur la documentation constituant spécifiquement ce que l’on appelle le dossier d’une affaire, c’est-à-dire l’ensemble des documents qui représentent pour les personnes engagées dans un procès les pièces à partir desquelles elles forment leur jugement ou construisent leur défense.


  Al-tasnît et al-zullîqa, deux techniques de chasse et de pêche du lac Manzala
Nessim Henry Henein
Cet article présente deux techniques de chasse et pêche pratiquées sur le lac Manzala dans le Delta du Nil. La première est connue sous le nom de tasnît et concerne la chasse aux oiseaux migrateurs. La seconde, al-zullîqa, permet de capturer des poissons dans de larges plans d’eau gagnés sur le lac. Ces deux techniques sont la démonstration d’amples connaissances éthologiques locales de la faune en même temps que leur usage (ou non) nous offre un éclairage sur la situation écologique du lac. Son décor et la vie locale subjuguèrent l’auteur, égyptien, qui explicite ici les liens qu’il a patiemment tissés avec de nombreux interlocuteurs en multipliant les séjours pour, petit à petit, s’immerger dans la vie d’un village de pêcheurs, balançant entre l’objectivité radicale du descripteur et la subjectivité des émotions suscitées par les lieux et les hommes qui y travaillent.


 Du travail en surface. Réflexions sur une expérience de terrain « profondément superficielle »
Fanny Colonna
Cette contribution se concentre sur « le terrain » et en particulier sur une expérience menée dans la province égyptienne entre 1996 et 1998, auprès de diplomés d’enseignement supérieur ayant choisi de vivre dans leur localité d’origine.Mais elle voudrait rendre compte chemin faisant de ce qui vient avant (l’inspiration théorique, l’expérience des terrains antérieurs, vécus comme réussis ou pas, le cheminement théorique avec des collègues) et de ce qui vient après, la production d’un texte destiné à la publication, c’est-à-dire d’un objet-livre (mais c’aurait pu être un film, un porte-folio photographique, une exposition, que sais-je…). Tant il est vrai qu’aucun terrain ne s’improvise sans « l’avant » ici évoqué et qu’il est grandement imprudent – même si c’est parfois le cas – de ne pas anticiper au moins en esprit la manière dont on va finalement résumer l’aventure !


 « Pourquoi j’irais voir d’en haut ce que je connais déjà d’en bas ? » Centralités et circulations : comprendre l’usage des espaces dans l’oasis de Siwa
Vincent Battesti
À l’ombre des palmiers de Siwa, oasis berbère égyptienne, la phrase de ‘Abduh qui m’assène « Pourquoi j’irais voir d’en haut ce que je connais déjà d’en bas ? » suffit à ébranler l’universalité du concept de paysage. Cela ne suffit pas pour autant à comprendre la variété des qualités et des usages des espaces. La voie privilégiée ici est celle d’une anthropologie de terrain qui s’appuie sur l’empathie plutôt que l’ignorer : c’est un peu plus que « le partage de situations » induit par la simple observation participante, c’est l’investissement dans la relation à un « autre » singularisé. Néanmoins, si cette implication reste de même intensité quelle que soit l’échelle spatiale étudiée (de l’oasis au jardin), les différents niveaux d’organisation spatiale renvoient à des présentations et des « réceptions » variables de son identité ou de son altérité (pour le chercheur que je suis comme pour les habitants de Siwa).

- Lettre d’intention originale :

Ce numéro d’Égypte-Monde arabe a pour vocation de présenter des travaux anthropologiques portant sur des terrains menés en Égypte. Deux livraisons successives d’EMA sur les « anthropologies de l’Egypte » (n° 24 et 25, 1995-1996), avaient constaté alors un renouvellement des approches et des objets de l’anthropologie au détriment des sujets classiquement abordés dans la discipline (parenté, phénomènes religieux, etc.). Une dizaine d’années après, il est acquis que le domaine de compétences des anthropologues s’est ouvert à de nouveaux objets autrefois peu légitimes (citadinités, consumérismes, mobilités, etc.), sans renier les domaines plus classiques.
Ce nouveau numéro pour lequel nous sollicitons votre contribution a pour objectif de présenter des travaux issus de « terrains égyptiens » en situant ces données et les moyens de leur production, c’est-à-dire en insistant sur la notion de terrain.

Ces « terrains » qui font la spécificité de l’enquête anthropologique — même si cette méthode a été investie par d’autres disciplines (sociologie, science politique et géographie notamment) — sont à prendre au sens large dans le cadre de ce numéro. Si l’enquête de terrain en anthropologie implique un investissement soutenu du chercheur dans un milieu donné, elle ne signifie pas toujours pour autant la pratique de l’observation participante stricto sensu, technique classique des ethnologues.
Les relations des chercheurs à leur(s) terrain(s) forment des méthodologies d’enquête qui semblent aussi variées aujourd’hui que les objets d’études. Cette relation personnelle au terrain fut longtemps garante de l’identité particulière de la discipline anthropologique. C’est l’explicitation partielle de cette relation contemporaine que ce numéro souhaite présenter. L’enjeu se situe sur le plan de la méthode : le privilège est-il toujours donné à une approche fondée sur l’unité de temps et de lieu de l’enquête ? quels découpages du terrain ou des objets sont opérés ? quelles généralisations des observations sont éventuellement effectuées et à quelles échelles ? On peut également se demander dans quelle mesure une méthodologie d’enquête s’impose à un terrain ou un objet spécifique et quelles formes de descriptions ils appellent.

Car les frontières mêmes de la notion de terrain sont parfois revisitées. Une thèse, aujourd’hui répandue, aboutit dans son extrême radicalité à dénier au local sa prééminence dans l’appréhension des phénomènes sociaux, identitaires ou culturels. Cette thèse, parfois qualifiée de « transnationaliste », très présente dans les cultural studies contemporaines, considère que le déplacement est « le point de production de sens, tout autant que le point de production de localité  » [1]. Dans ce contexte, quelle peut être la pertinence d’une anthropologie construite sur des terrains localisés ?

Ainsi, au-delà des indispensables éléments de connaissance des diverses situations contemporaines égyptiennes, ce numéro d’EMA sera l’occasion d’un questionnement disciplinaire sur la pratique de terrain des anthropologues. Il est donc demandé aux auteurs de nous livrer leurs propres commentaires sur la question du terrain en s’appuyant sur une enquête, effectuée ou en cours, dont on présentera au lecteur les résultats.

Couverture d’Égypte/Monde arabe n°3 (série 3)
(2006, paru 2007). Illustration : © Marie Deshayes.


 Le site web de l’illustratrice de la couverture de ce numéro d’EMA, Marie Deshayes.

 Voir aussi l’article « Pourquoi j’irais voir d’en haut ce que je connais déjà d’en bas ? » publié dans ce numéro.
 Voir aussi cet article de présentation : Terrains d’Égypte : introduction (Glissements de terrain, La production des connaissances anthropologiques en Égypte).


 Compte-rendu :
Par Thierry Boissière, dans le Bulletin critique des Annales islamologiques n°23, Le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, année 2007.
ISBN 978-2-7247-0481-5

Compte rendu du numéro par Thierry Boissière
Compte rendu du numéro par Thierry Boissière (paru dans le Bulletin critique des Annales islamologiques n°23, Le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, année 2007).

Fichier original : http://www.ifao.egnet.net/bcai/23/51/

 Compte rendu du numéro par Thierry Boissière (paru dans le Bulletin critique des Annales islamologiques n°23, Le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, année 2007).

Vincent Battesti, Nicolas Puig (éd.), “Terrains d’Égypte. Anthropologies contemporaines”, in Égypte Monde Arabe, n°3 (3e série), Le Caire, CEDEJ, 2006, 213 p.

Ce récent numéro de la revue du CEDEJ Égypte-Monde arabe présente différentes approches anthropologiques de l’Égypte mais s’inscrit aussi dans une réflexion plus large sur la relation des chercheurs en sciences sociales à leur(s) terrain(s). Il vient ainsi enrichir la liste des textes qui, de M. Agier à D. Céfaï en passant par C. Ghasarian, J. Copans ou O. Schwartz, ont porté depuis quelques années sur la question de la situation d’enquête. “Terrains d’Égypte” paraît également une dizaine d’années après la parution de deux numéros de la même revue consacrés aux “Anthropologies de l’Égypte” (n° 24 et 25) dans lesquels avaient été constaté un renouvellement et une diversification des approches et des objets de l’anthropologie en Égypte et sur l’Égypte. À ce premier constat, “Terrains d’Égypte” associe désormais celui d’un éclatement des terrains égyptiens, éclatement dont les sept contributions du numéro se font l’écho à travers la variété des objets que leurs auteurs investissent au Caire et en province et des démarches qu’ils adoptent à cet effet.

La première contribution, celle de Jean-Charles Depaule et Philippe Tastevin (“Deux ethnologues dans le métro”), croise à la fois une analyse fine et sensible des civilités ordinaires, telles qu’elles peuvent s’observer et se pratiquer dans cet “espace mouvement” qu’est le métro du Caire et une analyse réflexive et méthodologique sur l’enquête lorsqu’elle se pratique “à deux mains”, ou plutôt “à deux regards”.

Dans la seconde contribution, Nicolas Puig (“La vie du musicien est comme la vapeur d’eau, elle monte et disparaît”) présente toute la richesse et la profondeur d’une implication de longue durée dans ce “monde social” - au sens de A. Strauss et de H. Becker - que forment les musiciens professionnels du Caire. Après avoir précisé la façon dont il est “entré dans la place” - pour reprendre une expression de E. Goffman - et y a négocié sa position, l’auteur nous présente, à travers des extraits de comptes rendus d’enquêtes, les méthodes sur lesquelles s’appuie sa démarche : la parole (conversation, entretien), la vue (enregistrement vidéo) et l’ouie (enregistrement audio)… démarche compréhensive, et paradoxale, puisqu’elle se construit à la fois sur un fort engagement relationnel et sur cette “forme de présence discontinue” qui est le propre des enquêtes en contexte urbain.

Barbara Drieskens (“L’art de le dire. Une réflexion méthodologique sur les histoires de djinns et autres sujets”) nous introduit ensuite dans l’univers des histoires de djinns telles qu’elles sont racontées par des Cairotes appartenant à la classe moyenne inférieure. Son projet est de prendre en compte, certes le contenu de ces histoires, mais surtout les conditions de leur narration et de leur exposition. Cette démarche méthodologiquement très fertile lui permet d’observer la façon dont ces histoires se construisent en situation et dans la relation entre le narrateur et son public, dont l’anthropologue fait bien entendu partie.

Dans un texte se distinguant très nettement des autres par sa volonté d’objectivation, Baudouin Dupret (“L’enceinte égyptienne du droit. Activité juridique et contexte institutionnel”) propose une approche ethnométhodologique de l’activité juridique dans un tribunal du Caire, en s’appuyant essentiellement sur des sources écrites (textes de loi et jurisprudentiels, dossiers judiciaires) et sur quelques observations de terrain.

Le texte de Nessim Henry Henein (“Al-Tasnît et Al-Zullîqa, deux techniques de chasse et de pêche du lac Manzala”) rend compte d’une enquête de technologie culturelle menée sur le lac de Manzalla. Ce travail a fourni des descriptions fines et minutieuses de techniques cynégétiques et halieutiques désormais menacées par la destruction du lac. Au delà du rendu ethnographique, apparaissent aussi en filigrane la position particulière de l’auteur, à la fois égyptien et étranger au monde qu’il décrit, et la forme d’implication, parfois très émotionnelle, qui en découle.

La contribution de Fanny Colonna (“Réflexions sur une expérience de terrain profondément superficiel”) est particulièrement intéressante pour ce qu’elle nous donne à comprendre de la fabrique d’un terrain dont les résultats ont constitué la matière d’un livre paru en 2004, Récits de la province égyptienne, une ethnographie Sud/Sud, traitant des lettrés provinciaux et de leurs implications locales. L’approche “profondément superficielle” que défend l’auteur vise davantage à multiplier les points de vue et les questionnements qu’à s’inscrire dans la profondeur d’une présence de longue durée. Préférant le “passage” à l’ancrage, la répétition des entretiens à “la fausse pénétration de la totalisation de l’un”, l’auteur s’est fait accompagner de jeunes chercheurs algériens qui, du fait de leur origine (provinciale, algérienne), entrent eux-mêmes dans le cadre de l’observation, contribuant à la production d’une ethnographie Sud/Sud.

Enfin, dernière contribution, celle de Vincent Battesti sur les spatialités oasiennes à Siwa (“Pourquoi j’irais voir d’en haut ce que je connais déjà d’en bas ? Centralités et circulations : comprendre l’usage des espaces dans l’oasis de Siwa”), est sans doute celle dans laquelle apparaît le plus nettement la silhouette de l’ethnologue. Silhouette à la fois solitaire et solidaire d’un terrain que l’ethnologue parcourt, arpente et qu’il saisit à différentes échelles (échelles de l’oasis, publique, domestique). Sa démarche s’inscrit dans la longue durée et s’appuie sur une familiarité des lieux et des gens et sur la qualité des relations humaines qu’il a su établir au fil des ans. Elle produit ainsi une anthropologie dans laquelle l’empathie, assumée et même revendiquée, joue un rôle central.

Terrains égyptiens”, en proposant quelques jalons pour une exploration de “l’Égypte des anthropologues”, constitue une publication passionnante. Réaffirmant avec force “qu’il n’y a pas d’anthropologue sans terrain”, elle montre de quelle manière l’anthropologue construit ce terrain par une suite d’ajustements et de réajustements personnels aux situations dans lesquelles il se trouve impliqué. Elle laisse enfin toute latitude à l’expression de la diversité des méthodes, des points de vue (vue d’en haut, d’en bas, d’à côté, de l’intérieur) et des approches (objectivistes, empathiques, réflexives, empiriques, etc.), même si, “au-delà de la variété des styles et des approches” de ces différentes contributions, transparaît bien, comme nous le rappellent les éditeurs scientifiques, “une semblable sensibilité et une forme d’attention à l’autre”.

Thierry Boissière
Université Lumière Lyon 2
UMR – 5647 GREMMO (Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon)


 Compte-rendu :
Dans la revue Transcontinentales (sociétés, idéologie, système mondial) [En ligne], vol.4, 2007, p.181, document 15, mis en ligne le 11 mai 2011, consulté le 07 septembre 2012.
URL : http://transcontinentales.revues.or....
ISBN : 978-2-200-92396-9

Égypte. Monde arabe, n° 3, 3e série

Sous le titre « Terrains d’Égypte. Anthropologies contemporaines » ce recueil, dirigé par Vincent Battesti et Nicolas Puig, offre un ensemble de textes qui cherchent à éclairer la pratique du terrain – les pratiques de terrain. Une introduction nourrie formule, avec un grand souci épistémologique, les questionnements nécessaires sur le recours à l’enquête, en particulier quand elle est conduite par des chercheurs « étrangers ». Les guillemets s’imposent, puisque se dégage à l’inverse, du corpus ici rassemblé, l’idée que l’enquête, « relation humaine avant toute chose », ne se conduit pas dans le cadre de « la rencontre d’une culture avec une autre », mais bien dans celui de « la gestion de relations inter-personnelles ». Ainsi qualifiée, la pratique de l’enquête « tempère finalement le culturalisme implicite de la relation de terrain confinée, prisonnière des sphères culturelles, et qui donnerait à l’anthropologue le beau rôle d’être le lecteur des textes, complexes et polysémiques, qu’écrivent les civilisations ». Métro du Caire, histoires de djinns, pratique du droit, techniques de chasse et de pêche, usages de l’espace dans l’oasis de Siwa offrent autant d’exemples très divers de ce que Fanny Colonna prône  : « la démarche, plutôt que la méthode », dans ses « réflexions sur une expérience de terrain “profondément superficielle” » – une formulation modeste empruntée à Andy Warhol, qui cache un texte d’une très grande richesse.

[1Friedman J., « Des racines et (dé)routes, tropes pour trekkers », L’Homme, 156/2000, p. 188. Dans cette veine « transnationaliste » Appaduraï écrit : « L’anthropologie conserverait-elle un quelconque privilège réthorique dans un monde où la localité semble avoir perdu ses amarres ontologiques » : 2001, Après le colonialisme, les conséquences culturelles de la globalisation, Payot, p. 247.

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