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Dans le monde arabe, construire, rêver et anticiper sa nature… pour échapper à l’environnement

Vincent Battesti

 Séminaire Utopies de la nature, Nature des utopies – 2011
Coordonné par Vanessa Manceron et Marie Roué

Intervention de Vincent Battesti & Anie Montigny (le 2 déc. 2011, 9h-13h, au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris).

 En Afrique du Nord et au Proche-Orient, construire, rêver et anticiper sa nature… pour échapper à l’environnement

Cette séance s’ancre dans le monde arabe, de la Tunisie au Golfe Persique, en s’appuyant sur des terrains localisés.

En petit contrepoint de séances qui avaient un cadre européen, nous ferons cette remarque préliminaire. En Europe, la « genèse de la campagne comme cadre social idyllique résulte du long processus de disparition progressive du prolétariat rural […] à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle » (Chamboredon, 1985 : 141). Après une neutralisation (par dépolitisation et homogénéisation) qui efface les oppositions sociales et les contradictions historiques incarnées dans l’organisation spatiale et les pratiques, la campagne, « nature dé-socialisée », peut apparaître comme « le lieu d’une vie soumise aux rythmes naturels, l’asile d’une civilisation traditionnelle, le cadre d’un contact direct avec une transcendance (esthétique ou religieuse) » (ibid. : 142).

Dans le monde arabe ? rien de tel. Ce qui semble le plus proche des évocations idéales et utopiques de la nature campagnarde sont peut-être à chercher du côté des films égyptiens de l’âge d’or (jusqu’aux années soixante). Mais point de Heidi en Afrique du Nord et au Proche-Orient. L’horizon utopique est jardinier ou urbanistique, l’un à l’échelle d’une pratique individuelle, l’autre d’un État ou de grands groupes privés.

Nous avons relevés trois niveaux de discours et pratiques sur ce que pourrait être les utopies de la nature du monde arabe, et toutes les trois visent à s’abstraire d’un environnement immédiat qui est presque toujours considéré comme hostile. Dans les zones désertiques, on rêve de jardins verdoyants ou d’espaces qui nous arrachent définitivement du sol.

Dans un premier temps interviendra Vincent Battesti sur deux de ces niveaux, puis Anie Montigny sur le troisième.

 « Préserver son jardin et afficher sa nature utopique au mur (Tunisie et Égypte) » - Vincent Battesti

Les jardins de vieilles oasis tunisiennes ont résisté et malgré l’adversité tenace (des autorités en particulier) ont conservé leurs qualités : être les jardins rêvés, qui ne comblent non seulement la vue, mais tout les sens, presque le jardin arabe des origines ou de l’eschatologie (Battesti, 2005). En Égypte aussi, les jardins d’oasis ou bourgeois servent de parenthèses, de bulles qui nous isolent de l’environnement aride ou pollué, mais se détache aussi une autre pratique locale : le poster de nature paradisiaque. Ces grands posters, affichés dans quelques commerces mais surtout dans le salon chez soi, dans les espaces domestiques, sont de création égyptienne pour un public égyptien, un collage improbable et « Photoshopé » de tout ce qu’il faut rêver à ses utopies de nature.

Vincent Battesti, 2011, Tozeur (Tunisie)


Vincent Battesti, 1995, Degache (Tunisie)


Vincent Battesti, 2011, Tozeur (Tunisie)


Vincent Battesti, 20 fév. 2007, Mansuriyya (Égypte)


Vincent Battesti, 1er déc. 2011, Paris (France)


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coll. Vincent Battesti - photo Bruno Scotti - oct. 2011


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coll. Vincent Battesti - photo Bruno Scotti - oct. 2011

 « De l’autre côté du désert dans les pays arabes du Golfe : entre nostalgie et technologie » - Anie Montigny

Les décors et artifices créés dans les malls (centres commerciaux) à Dubaï, Abu Dhabi ou au Qatar — décors vénitiens, pistes de ski, par exemple — ou les projets de villes vertes et écologiques — Al-Masdar — renvoient au paradigme dominant de la région : la technologie permet de créer ce qui permet de satisfaire la quête d’une triade composée du confort (échapper au désert), de la sécurité (entre-soi assuré) et de la protection (de la pollution ou des influences occidentales nocives) (Montigny, 2007). Contrairement aux créateurs de jardins oasiens et de posters paradisiaques, les architectes ne sont pas souvent locaux, mais les commanditaires le sont ; tandis que les usagers composent un entre-soi très satisfaits de ces extraterritorialités. Dans un ailleurs de félicité, les couches aisées du Golfe possèdent eux aussi leurs jardins avec lesquels nous terminerons cette quête des natures idéales…

© Anie Montigny


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Vincent Battesti , "Dans le monde arabe, construire, rêver et anticiper sa nature… pour échapper à l’environnement " (en ligne), Anthropoasis | vbat.org, page publiée le 2 décembre 2011 (visitée le 5 avril 2024), disponible sur: https://vbat.org/article615