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Les oasis du Jérid, des ressources naturelles et idéelles

Vincent Battesti

Les oasis du Jérid, des ressources naturelles et idéelles,
dans Picouët M., Sghaier M., Genin D., Abaab A., Guillaume H., Elloumi M. (dirs.) – Environnement et sociétés rurales en mutation, Approches alternatives, Paris, Éditions IRD, coll. Latitude 23, 2004, p. 201-214.
ISBN : 2-7099-1547-2
oai:halshs.archives-ouvertes.fr:halshs-00004012_v1
DOI : 10.4000/books.irdeditions.1127
Fichier pdf : https://hal.science/halshs-00004012

Lire sur Open Edition : http://books.openedition.org/irdedi...

 Résumé :
Au Jérid des palmeraies, on identifie un sentiment de crise dans les ressources foncières et aquifères, qui tient à la disponibilité et surtout à la gestion des ressources. Mais, des divers acteurs (jardiniers et État), chacun voit midi à sa porte : si sa propre gestion est critiquable, c’est l’autre qui peut évoluer et non soi.

L’usage de ressources tient de la perception de l’environnement. J’ai identifié trois idéaux-types de la relation au milieu qui conditionnent trois manières de traiter avec le monde naturel. Les acteurs de la scène oasienne se différencient par leurs rapports plus ou moins étroits avec ces trois idéaux-types. Cela demande donc de prendre en considération le type d’acteurs, ces représentations propres, pour imaginer sa gestion des ressources. Mais cela est encore trop simple : ces agents oasiens ne se laissent pas, hors de la réalité intellectuelle, enfermer dans des caricatures rigides. Ils négocient en permanence leurs rapports avec ces trois pôles idéaux-typiques. Aussi, la proposition principale ici est d’inclure dans la notion de ressource cette ressource qui n’est plus matérielle et naturelle mais aussi idéelle. C’est-à-dire qu’une manière de traiter avec le monde, y compris les modes de gestion des ressources, est elle-même une ressource. Un ensemble de représentations, une manière de prendre en compte la productivité ou la sauvegarde et la préservation doit être considéré comme une ressource organiquement liée aux naturelles et matérielles.

Pour le développement, cela représente une nouvelle perspective de travail, perspective synthétique qui fait le lien entre des systèmes de représentation du monde, des modes de gestion des ressources, des usages d’échelles d’espaces et de temps différenciés et des catégories dynamiques d’agents d’évolution d’écosystèmes.

 Voir la fiche de l’ouvrage sur le site web des Éditions IRD.

 Télécharger l’article :

Les oasis du Jérid, des ressources naturelles et idéelles
dans Picouët M., Sghaier M., Genin D., Abaab A., Guillaume H., Elloumi M. (dirs) – Environnement et sociétés rurales en mutation, Approches alternatives, Paris, Éditions IRD, coll. Latitude 23, 2004, p. 201-214.
Un khammes dans un jardin de la palmeraie de l’oasis de Tozeur, Jerid (Tunisie), le 28 juillet 2011, 18h31, Vincent Battesti

 Également (depuis peu, 2013 ?) en accès ouvert sur le web chez OpenEditions books : http://books.openedition.org/irdedi...

Environnement et sociétés rurales en mutation

Sommaire de l’ouvrage Environnement et sociétés rurales en mutation, Approches alternatives

 Premières lignes du chapitre :

Dans le Jérid, région d’oasis du Sud-Ouest tunisien, un sentiment de crise qui concerne les ressources foncières et aquifères est sensible. Cette crise est l’occasion de comprendre comment et par qui les ressources sont mobilisées, et surtout selon quels modèles de représentation de l’environnement. Nous serons amenés à définir les « ressources socio- écologiques », concept englobant les ressources naturelles et matérielles et les ressources idéelles.

Le sentiment de crise qu’un individu peut ressentir vis-à-vis d’un environ- nement est directement inspiré de la perception qu’il en a. La « crise » est un concept dynamique, et il n’entre en jeu que par un travail de com- paraison : mieux (ailleurs ou avant) et moins bien (ici et maintenant). Cette comparaison est diachronique ou synchronique. Une première estimation de crise au Jérid n’est pas liée à une dégradation, mais à l’idée d’un « retard », retard d’un développement que l’on estime devoir être synchronique. Un agent de développement d’un pays européen comme un ingénieur tunisien, formé aux techniques modernes et rationnelles, établit tout de suite ce constat : au Jérid, « ça retarde ». Les espaces de cultures sont exigus, le travail de la terre se fait à la main, les rendements de certaines cultures sont médiocres, etc. Nous ne discuterons pas ici du caractère incertain de telles comparaisons, mais il s’agit bien de comparaisons : si les rendements sont médiocres ou si les modes de faire-valoir sont archaïques, c’est bien parce qu’ailleurs, ce n’est pas le cas. En général, la référence est centrée sur sa propre origine spatiale (« en France, les rendements... » ou « dans le nord de la Tunisie, les fellahs sont mécanisés... »). Quant à l’estimation diachronique, l’évolution dans le temps d’une région ou d’écosystèmes se réfère à une comparaison entre l’état actuel et le passé : « l’eau ne coule plus comme avant », « les récoltes étaient meilleures », « la terre n’était pas fatiguée comme maintenant ». D’une manière générale, prévaut au Jérid la forte construction d’un âge d’or non daté, il est « bikri » (avant, autrefois). Les Jéridi travaillant dans l’agriculture ont élaboré cette mémoire et usent souvent d’un discours négatif sur leur secteur d’activité. La crise est alors ici non liée à une idée de retard mais à une idée de dégradation.

Bref, à écouter les uns ou les autres, on devrait conclure que la grande époque des oasis du Jérid est révolue (dégradation) et/ou qu’elle reste à faire (retard). Sont stigmatisés tant par les discours locaux que scienti- fiques deux registres de causes, soit le foncier, soit l’eau d’irrigation. Ce sont ce que l’on appelle des ressources naturelles. Les grands thèmes de la construction du discours local sur le passé sont : l’eau ne coule plus comme « avant » ; du temps du khammesa généralisé (métayage au cinquième qui décline), les superficies étaient plus importantes ; du temps de la gestion collective du patrimoine familial, il n’y avait ni problème de morcellement des propriétés ni problème d’indivision, ni encore d’abandon de jardins… Certes, si on ne peut nier que l’indivision peut représenter une situation de blocage (quant aux décisions d’investissement par exemple), on peut douter de la nouveauté de la question ; il est très délicat aussi de trancher sur l’essor ou le déclin du phénomène. Que l’eau ne coule plus comme avant, c’est irréfutable : les « sources naturelles » s’écoulent aujourd’hui par les canalisations issues de forages profonds. Mais nous avons pu montrer ailleurs (Battesti, 2000) que le discours foncier permettait d’escamoter les disparités actuelles dans la distribution des terres ; de surcroît, les mécanismes que nous avons appelés « révolutions permanentes » ont probablement toujours existé et attestent plutôt de la dynamique des recompositions du foncier dans les palmeraies. Quant au discours sur l’eau, il est à notre avis une prise de parole politique, un rare terrain reconnu de contestation tolérée et légitime (ce qui n’empêche pas que la situation des ressources en eau peut être préoccupante). (…)

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Vincent Battesti , "Les oasis du Jérid, des ressources naturelles et idéelles " (en ligne), Anthropoasis | vbat.org, page publiée le septembre 2001 (visitée le 19 mars 2024), disponible sur: https://vbat.org/article47